Sans titre (La chasse aux lézards) 2019
Résine, tabouret |
"C’est con un feu d’artifice. C’est con mais c’est beau. Comme un feu de cheminée ou une roue de bicyclette. C’est ce que je me suis dit ce soir-là, le regard attrapé par les explosions. Des explosions pour de faux, dirait ma fille. Des explosions rien que pour les yeux.
C et M devaient me rejoindre mais l’orage qui s’annonçait les a fait renoncer. Ce n’est pourtant pas du ciel qu’est venu l’orage. Il est venu du cœur des hommes.
Je suis sur le balcon. C’est E je crois qui nous a fait remarquer que les gens marchaient très vite. Trop vite. Un premier texto arrive de Tunisie. Ça n’arrêtera plus. Ça va ? Jamais ces mots si banals ne furent si pesants. Nous ça va. Enfin, nous sommes vivants. Du reste, nous ne savons rien. Nous ne comprenons rien. La foule, le ciel, les cris, le vent dans les palmes, les sirènes hurlantes, le silence de la mer. Et la lune. Personne n’a parlé de la lune ce soir-là. Elle était gonflée, comme amputée, presque rouge.
Je pense à ma fille. Aux enfants. Au 14 juillet. À ses promesses de lampions, de promenade au bord de mer, de fanfare et de glace… Oui, mais si tu es sage.
Submersion jusqu’à la nausée de sentiments contradictoires. Je pense au pays de mon père. C’était il y a vingt ans. C’était hier. Ou ce matin. Ça ne change rien. Tu te réveillais le matin et tu apprenais la mort de 300 personnes. Égorgées, les membres arrachés, le front parfois défoncé par un lavabo arraché. Puis ce cri qui a fait en vain le tour du monde. Ce hurlement. Il n’y a pas de mots pour dire ces entrailles de douleur sinon qu’elles sont dégueulées.
Le vent dans les arbres s’est éteint. La Promenade est déserte. Comme elle ne l’est jamais. Le silence est effrayant. Il paraît qu’on s’habitue.
Arrivent les rumeurs qui disent la peur. On veut savoir, comprendre. Saisir quelque chose à quoi s’agripper. Ne serait-ce qu’une histoire, un mensonge, n’importe quoi. Mise en boucle des images par la télévision. 10 morts. 20 morts. 30. 40. Le sentiment que ça ne cessera plus. C’est la litanie des chiffres qui ne veulent plus rien dire, qui comptent simplement les vies fracassées. Combien d’enfants devront vivre et grandir avec ces images dans la tête ? Nul ne sait.
À l’écran, un futur ministre, un ancien je-ne-sais-quoi, se hisse sur la pointe des pieds pour bien entrer dans le cadre. Les vautours déjà capitalisent sur le sang et les larmes. Ici comme là-bas. Ici comme là-bas, la pluie noire de la terreur s’insinue dans les têtes avant d’enserrer les corps. Épaisse, lourde, indélébile. Pluie noire. Le film d’Imamura commence à Hiroshima le 6 août 1945, soudain, un éclair blanc déchire le ciel." |
Sans titre (La chasse aux lézards) 2019
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