Anne-Valérie GASC 

Tour Genêt (série Bouquet Final) 2011
Sérigraphie à la poudre de béton de la Tour Genêt démolie à l’explosif le 26 juin 2011 à Meaux, 70 x 100 cm
8 tirages + 2 épreuves d’artiste, Les Éditions du Tingre, Marseille, 2011

 

Tour Hortensia (série Bouquet Final) 2011
Sérigraphie à la poudre de béton de la Tour Genêt démolie à l’explosif le 26 juin 2011 à Meaux, 70 x 100 cm
8 tirages + 2 épreuves d’artiste, Les Éditions du Tingre, Marseille, 2011

 

Tour Iris (série Bouquet Final) 2011
Sérigraphie à la poudre de béton de la Tour Genêt démolie à l’explosif le 26 juin 2011 à Meaux, 70 x 100 cm
8 tirages + 2 épreuves d’artiste, Les Éditions du Tingre, Marseille, 2011



Les trois images proposées par Anne-Valérie Gasc sont les portraits photographiques de trois tours d'immeubles juste avant leur destruction à l'explosif. Les initiales des noms bucoliques dont elles avaient été baptisées, respectivement Genêt, Hortensia et Iris, sont reprises par l'artiste pour intituler chacun de ces portraits. Elles donnent ainsi un coup d'éclairage sur l'utopie éventée qui a porté une certaine architecture des années soixante, et dont l'échec s'exprime au travers de différents symptômes, parmi lesquels celui du décalage entre l'évocation primesautière d'une cité radieuse et la réalité sociale qui l'accompagne en est l'un des plus cruellement ironiques. L'effet s'en trouve renforcé par le titre du triptyque, Bouquet Final, dont le sens dédoublé ne vise qu'à souligner combien le référent s'apparente davantage à la déflagration pyrotechnique plutôt qu'à la composition florale.

Pour réaliser ce projet, Anne-Valérie Gasc a d'abord saisi les vues des tours juste avant l'explosion, puis, immédiatement après, elle a récupéré des blocs de béton dans les gravats. Son mode opératoire se déplie en deux temps autour d'un point aveugle bien que crucial : l'évènement en lui-même, le moment de la destruction. Renvoyant immanquablement à ce processus de démolition, le projet n'en occulte pas moins cet instant quasi-virtuel auquel il est inféodé, comme si l'évènement, pourtant anticipé, guetté puis exploité, ne se laissait jamais saisir que sur un mode diachronique. Comme si il ne pouvait qu'être manqué.

A l'atelier Tchikebe!, les décombres réduits en poudre sont tamisés sur la couche de colle qui a remplacé l'encre à sérigraphie. Lorsque le support est redressé, la poussière non-encollée s'effondre dans un nuage poudreux tandis que jaillit, à rebours de la démolition, l'image fantomatique des bâtiments. La couleur des gravats, d'un gris-crème diaphane, compose un camaïeu très doux avec le blanc du papier. Les figures des tours se révèlent d'une telle ténuité qu'elles s'apparentent à des visions de Saint-Suaire. De même que le voile de Véronique est autant icône que relique, la vue qui nous apparaît des bâtiments n’est pas plus image qu’elle n’est matière, prise dans la circularité d’une effigie physiquement constituée par son propre référent. La survivance de cet ensemble urbain, symbole d'une époque qui s'exile doucement dans l'inactuel, se tient encore devant nous, spectrale, aussi discrète qu'elle est opiniâtre. Sa représentation est doublement constituée d’abord par son propre référent, par l'effet du procédé photographique, dont les objets émanent physiquement de ce qu'ils saisissent, puis par le protocole quasi transsubstantatoire qui métamorphose les gravats de l'immeuble détruit en monument commémoratif à l'effigie de ce dernier. Entre visage et cendres, l'image des tours s'est assise dans sa propre chair comme le souvenir du disparu l'est dans son urne.

Clémence Agnez

 

Tour Hortensia (série Bouquet Final) 2011
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Tour Iris (série Bouquet Final) 2011
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Tour Genêt (série Bouquet Final) 2011
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