Anne-Valérie GASC 

Semaine du 2 au 8 mai 2011
Sérigraphie 18 passages sur papier de création 240gr, 152 x 155 cm
Tirage unique

Le projet « Semaine du 2 au 8 mai 2011 » prend racine dans un ensemble d’archives intimes d’un type particulier : l’illisible corpus des agendas successifs, usagés, que l’on choisit de conserver année après année pour des raisons qui nous échappent. Dessinant une biographie sans ordre, succession de fragments qui s’empilent, ils semblent renfermer, dans la combinaison singulière des évènements de nos jours, la clef téléologique d’une destinée. Comme si l’explication des inflexions que subit chaque existence particulière pouvait se trouver confinée dans la ritournelle qui baigne les variations mélodiques du renouvellement quotidien. L’ensemble des agendas périmés n’est jamais conservé que comme une boite noire, dont on sait que la somme des informations qu’elle renferme, pour la plupart devenues incompréhensibles, s’apparente plutôt à une sorte de langage cryptique qui jamais ne livrera sa solution. Secret dont, au fond, on n’est pas vraiment sûr qu’il existe mais auquel pourtant on ne peut pas renoncer. Le cryptage, dans le cas particulier
d’Anne-Valérie Gasc, est poussé à son faîte puisque chaque information, chaque tâche à accomplir, chaque rendez-vous pris est rayé une fois l’étape franchie, comme on coche une case sur un plan de route au fur et à mesure du parcours. Plus que rayé, il est vigoureusement raturé jusqu’à disparition complète, c’est-à-dire qu’il est supprimé par recouvrement, comme on repeint un mur. L’évènement, une fois survenu, est effacé. Le futur, en passant au passé, est oblitéré par un présent comme curseur de démolition. Le temps s’écoule, le temps s’écroule.

Non seulement on ne le remonte pas, mais on ne le consulte même plus : l’artiste, en effaçant quotidiennement toute trace de ses activités achevées, constitue une somme d’agendas qui enferment, sous dix ans de biffures journalières, une biographie muette. Ne restent alors que des images, aux lignes colorées énigmatiques.
« Semaine du 2 au 8 mai » est l’agrandissement à l’identique de l’une d’elle. La double page quitte son vulgaire format de poche pour se faire œuvre d’un mètre carré et demi, les tonalités particulières des différentes encres « Bic » sont retrouvées pour l’encre sérigraphique utilisée, et l’opération de biffure maniaque et quotidienne se mue en protocole de travail réfléchi. La réappropriation du geste de l’artiste est une sublimation : quittant le champ de l’utilitaire, du banal et de la répétition névrotique, il engendre un objet unique, valable pour lui-même, véritablement pictural et sacralisé de par son format et son statut d’œuvre d’art. Cet effet de sublimation, Anne-Valérie Gasc l’inflige également au médium sérigraphique en lui-même : elle détourne l’outil d’édition en en usant comme un peintre utilise sa palette. Elle cherche la bonne teinte, tâtonne, recouvre, recommence, pour aboutir à un seul tirage original, donc à une œuvre unique. La possibilité de reproductibilité offerte par le médium est niée à dessein :
de même que la semaine du 2 au 8 mai quitte la récurrence des jours pour affirmer son irréductible singularité, la sérigraphie, en renonçant précisément à son atout principal – sa faculté à tirer en série – , parvient à produire l’irremplaçable. L’artiste radicalise son parti pris en choisissant de ne conserver que le revers du reproductible : ne nous restent de cette semaine du 2 au 8
que les marques de la main. Tout ce qui fait la trame, le support et la raison de ces marques, toute la partie manufacturée, normalisée de l’agenda papier comme grille de vie massivement partagée, a été effacé. La démolition patiente du fil des jours y trouve son aboutissement, dans une forme qui reflue entre le mutisme d’une image figurative indécodable et la poésie contemplative d’une abstraction pure.

Clémence Agnez

Voir aussi le site de Tchikebe


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