FAVRET & MANEZ 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Abbayes 1998
Tirages C41, format 40 x 50
Commande de la Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites: abbayes du Thoronet et de Silvacane, 1998

Notre travail sur les abbayes du Thoronet et de Silvacane cristallise cette ambivalence de manière encore plus abrupte que dans les différentes séries que nous avons pu présenter jusqu’alors. La photographie est statique, les relations qu’entretiennent ses différentes parties se donnent à voir d’un seul coup. Or nous introduisons ici, au sein de cet espace homogène, une fracture à la fois spatiale et temporelle. Le lieu de la fracture se situe en apparence dans la confrontation espace/individu, qui matérialise un double décalage: - décalage temporel dans le sens où les corps s’inscrivent dans l’instant et réintroduisent par là-même une temporalité dans ces lieux figés dans l’histoire - décalage spatial dans le sens où chaque présence, aussi ténue soit-elle, transforme la perception de l’espace . L’espace de l’abbaye n’est pas un lieu de vie, c’est un espace inscrit dans le temps, le temps de la visite, le temps du regard, le temps de l’histoire... L’ordre de la représentation est inversé : ce n’est plus l’architecture qui est remarquable malgré sa beauté évidente, c’est la fragile présence humaine qui s’y révèle. Le trait d’union entre espace et durée semble extrêmement fragile. Seul les regards pourraient faire le lien entre les individus et le lieu, mais ils sont toujours en fuite, regards des visiteurs sur des vues que nous ne voyons pas, regards sur un espace invisible alors que les corps sont inscrits dans un autre. En deuxième lecture, c’est bien la mise en scène du regard qui semble le véritable sujet de ces photographies. Ces “ images d’actions” (action de regarder) dans un lieu qui appelle plûtot à la contemplation introduisent un trouble dans l’échelle de nos attentes esthétiques et nous montrent en même temps à quel point le regard est une attitude active et physique. Les visiteurs sont les acteurs de ces images et sont en même temps l’image du photographe en action. C’est le jeu des regards, ceux des visiteurs, celui, double, porté par les photographes qui introduit cette notion de réflexivité. Le champ de la simultanéité est déplacé : il ne réside plus au sein même de l’image,dans la mise à plat de l’ espace-temps. Il opère là à un autre niveau, simultanéité de celui qui voit et de celui qui est vu, brouillage des rôles, l’image photographique n’étant ici qu’une trace de ces regards à plusieurs.
F/M

 
Retour