Autoroutes 1989-1992
Tirages noir & blanc, format 30 x 40 cm
“Qu’est ce qu’une autoroute? Une anse topologique sur l’espace-temps répondrait un mathématicien,“un immense vagin généralisé” s’exclame Henri Vanlier dans une de ses émissions sur la littérature française de France-Culture; disons un long tuyau sans début ni fin qui permet une régulation efficace des biens et des personnes, un tuyau aux ramifications et bifurcations complexes, ignorant la transversalité, mais surtout un tuyau sorti de tout contexte, à l’intérieur duquel le temps ne fonctionne plus comme ailleurs; un tuyau, enfin, à l’intérieur duquel l’espace n’a plus de valeur qu’en fonction du temps.
Mais il y a deux autoroutes, celui de l’automobiliste, chez qui se produit une intensification de la perception due à l’accélération du mouvement général autour de lui et à la précision des équations mentales qu’il est obligé de produire à chaque instant pour doubler d’autres véhicules et se maintenirù dans le flux, et celui du piéton à l’arrêt, qui voit d’un seul coup ses compteurs mentaux décliner parce que les informations lui parviennent dès lors au ralenti.
C’est ce versant là, celui de la torpeur animale face au déchaînement mécanique qu’Anne Favret & Patrick Manez ont exploré avec beaucoup de talent, en introduisant une double parallaxe : décentrement de l’objectif qui regarde des franges, de la bande, dans un parallélisme “désaxé”; et décentrement mental de celui, aliéné, qui, parce qu’il est au bord, à l’arrêt, vit dans un temps immensément ralenti, préhistorique.
Il y a donc quelque chose de reptilien dans le regard que Favret & Manez portent sur cette perspective infinie qu’est une autoroute, un regard plus proche de la pierre et des mauvaises herbes, des lapins et des busards, que des fugitives apparitions qui zèbrent l’espace.”
Denis Baudier |