Vues de l'exposition Anthony Duchêne : Sauce Béarnaise Syndrome, Galerie Éva Hober, Paris, 2012
©Rebecca Fanuele / Galerie Eva Hober
Anthony Duchêne puise dans les sciences un vocabulaire sans cesse renouvelé de formes et d'idées. Mais au lieu d'appliquer à lettre des procédures d'expérimentation, ou au contraire de s'en distraire, il joue entre ces deux registres, en s'appuyant notamment sur le leurre. Ses dessins, sculptures ou installations, tous remarquablement produits, donnent l'apparence de la facture bien faite, du sérieux.
Leur observation font tendre vers une certaine rigueur, essentiellement due au fait que chaque forme ou mot employé semble totalement crédible sur un plan scientifique. Et en quelque sorte cela l'est, tant chaque pièce est le fruit d'un véritable travail d'investigation mené par l'artiste. Et pourtant, au second regard on s'aperçoit que les objets ou les dessins qui nous font face ressemblent à des curiosités de la nature, à des chimères qui pourraient exister mais dont on ne peut cerner l'existence de manière réelle et définie. Pour cela, Anthony Duchêne détourne des phénomènes existants pour les transformer en phénomènes suggérés.
L'exposition Sauce Béarnaise Syndrome s'appuie sur les recherches scientifiques de Seligam & Hager liées aux processus d'intoxication alimentaire et sur l'aversion que provoque leur souvenir, mais aussi sur les stratégies adaptatives et de mimétisme développées par certaines espèces animales. C'est ainsi qu'il redéfinit les procédures d'intimidation des batraciens (destinées à tromper leurs prédateurs) pour créer une analogie avec celles utilisées par les prestidigitateurs (I prestigitatori, 2012). La pièce Les Criocères d'Ulysse (2012) crée un lien presque organique entre l'insecte coléoptère criocère qui se camoufle derrière ses propres excréments pour disparaître et le héros d'Homère, vainqueur de Troie dissimulé dans son légendaire cheval en bois. De même, le dessin Le complot d'Homochromie saisonnière (2011) se construit sur la faculté de certains criquets à changer de couleur tout en créant des scènes dans lesquelles ces frêles animaux se retrouvent dans des postures de manipulateurs ridicules. Enfin, le vélo triporteur Empyreume (2012) propose une dégustation olfactive fictive basée sur la famille des goûts empyreumatiques (arômes brûlés, fumés et grillés) sous le principe d'une dégustation tronquée, peu ragoûtante, faisant référence aux premières représentations des bonimenteurs.
Délaissant volontairement toute prétention positiviste, les formes proposées par Anthony Duchêne demeurent toujours à échelle humaine, aussi bien dans leurs dimensions que dans les signes et artefacts qu'elles produisent. Elles semblent issues d'une expérience de laboratoire. Si elles peuvent paraître parfois précieuses par leur graphisme ou par leur mode de présentation soignée, c'est qu'il s'agit de mieux cacher l'aporie de leur postulat, leur hybridation fantasque et rigoureuse à la fois, leur versus réel et irréel. Il s'agit surtout de montrer que toute vérité scientifique (et donc esthétique) ne s'affirme justement comme vérité qu'à partir du moment où elle s'avère réfutable, et donc modifiable. Les perspectives s'avèrent dépravées. Le regard est une anamorphose.
Eric Mangion est directeur du Centre National d'Art Contemporain de la Villa Arson à Nice et critique d'art.
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