Une intervention dans l’espace public, Palestine 1998-1999
Un projet nous a été commandé en juillet 1998 par le Consulat général de France à Jérusalem. Premier séjour en août : c’est la connaissance physique de cette intolérable fragmentation du territoire, née des accords d’Oslo, zones A, B, C, H1, H2, qui rend possible un contrôle violent et permanent sur les déplacements des Palestiniens l’enfermement à Gaza et l’encerclement oppressant des colonies qui isolent les villes de Cisjordanie les unes des autres l’occupation jusqu’au cœur des villes le vol des terres la domination économique… et la force des Palestiniens : lutter encore, inventer toujours ! Au retour, nous concevrons notre projet, une série de tickets pour une compagnie de transport palestinienne : nous ne voulions pas d‘une œuvre “fixe”, qui n’aurait pu être accessible qu’aux personnes en possession des “bons” papiers, mais une forme mobile, discrète, rusée ? Nous avons voulu créer un objet porteur d’expériences individuelles ou collectives, un petit objet lui-même résistant, seul papier non contrôlé passant au travers des check-points de l’armée israélienne. En Palestine, il n’y a pas de petites résistances !
Le second séjour a eu lieu en février 1999 : nous y avons recueilli les éléments devant figurer sur les tickets et établi les formes de notre relation avec les propriétaires de la Jerusalem-Al Bireh-Ramallah Buses Company, qui ont accepté notre projet. Une logique préside au choix des images et des textes placés sur le recto des tickets de bus : nous utilisons les ordres militaires israéliens qui ont régi Gaza et la Cisjordanie depuis 1967. L’occupation israélienne est soucieuse de légalité, elle légalise l’illégal et ces ordres militaires la fondent. A une centaine de ces ordres-là, nous présentons une centaine de réponses palestiniennes, ruses poétiques et tactiques inventives du ”faible” dans l’ordre établi par le ”fort”. Ces fragments sont “reliés” sur leur verso : Sylvie Fouet, chercheur à l’université de Bir Zeit, dont les recherches ont pour objet les flux matériels et immatériels permettant aux Palestiniens de se rencontrer ”quand même”, répondra à notre invitation en proposant d’inscrire au dos des tickets les indicatifs du réseau palestinien de télécommunications, qui donne enfin un accès direct à l’extérieur. Chaque ville possède son indicatif. Nous les avons simplement placés géographiquement, et par l’accumulation des tickets, les indicatifs forment une carte de la Palestine d’Oslo. Les tickets ont été réalisés de mars à mai et imprimés à Marseille en 30 000 exemplaires. Numérotés et assemblés par carnets de 100, ils on été mis en circulation pendant le mois de juillet 1999, vendus comme d’habitude par les conducteurs de bus. Trois annonces ont paru dans le quotidien Al Ayam le temps de leur diffusion. Voir l'annonce
Édition des carnets
Impression offset 2 couleurs, format d’un carnet : 85x40x13 mm, 300 carnets de 100 tickets agrafés, prédécoupés et numérotés
Dans le bus...
Lorsque nous avons rencontré Maher Taweel de La Jerusalem-Al Bireh-Ramallah buses Co, il venait de baisser ses tarifs en raison des difficultés financières des usagers. Le prix d’un aller simple plein tarif est alors passé de 3 à 2 shekels. Maher Taweel est un Palestinien de Jérusalem : ses bus portent des plaques minéralogiques jaunes, comme les véhicules israéliens. Ils peuvent donc entrer et sortir de la ville, soumise à un bouclage permanent. La compagnie travaille régulièrement avec la Maison d’Orient et l’Alternative Information Center et organise des visites dans les colonies encerclant Jérusalem.
Bus de La Jerusalem-Al Bireh-Ramallah Buses Co.
La ligne 18 va de Ramallah à Jérusalem-est occupée, au travers des zones A, B, C : les bus franchissent à l’aller comme au retour le check-point d’Ar Ram où l’armée israélienne contrôle les cartes d’identité et les permis d’entrée des Palestiniens. Notre seule contrainte était de ne pas porter de critique ouverte et de ne pas donner prétexte à répression : les licences de transport sont facilement supprimées. Certains tickets seront discutés : l’affiche des enfants de l’Intifada parle du droit au retour des réfugiés, il y a Jérusalem et la volonté de ne jamais en partir, on peut voir des drapeaux israéliens à deux reprises… tous les tickets seront acceptés, c’est notre réalité palestinienne, dira Maher. Les propriétaires de la compagnie ont trouvé leur intérêt à ce projet : ils y ont joué différemment leurs activités militantes mais aussi fait parler de leur entreprise. Notre intérêt, c’était de faire exister ce projet, d’avoir la chance de travailler en Palestine, et d’être aux côtés, du côté ? des Palestiniens. Peut-être est-ce au croisement de tels intérêts que sont possibles de telles expériences !
Note, mai 2005.
Il y avait au moment de la réalisation de ce projet une place pour le jeu et l’art, le processus d’Oslo a pourtant modifié les choses, “il y a désormais un territoire d’appartenance où une souveraineté palestinienne peut, dans des limites bien précises, s’exercer et se revendiquer”, écrivait alors Bernard Botiveau. Aujourd’hui il y a un mur en béton de 8 mètres de haut, qui enferme la Cisjordanie comme Gaza avant elle, l’armée israélienne dévalise en toute impunité les banques palestiniennes, ce ne sont plus des maisons qui sont détruites, mais des quartiers entiers. Aucune intervention des instances internationales ne met fin à la plus longue occupation du monde.
Voir la suite
|
|
|
|