C’est le milieu du jour, le ciel est sombre.
Devant moi, il y a la mer.
Aujourd’hui elle est plate,
lourde,
de la densité du fer.
Et sans plus de force on dirait.
Entre le ciel et l’eau
il y a un large trait noir.
Il couvre la totalité de l’horizon.
Il est de la régularité d’une rature, géante,
de l’importance d’une différence infranchissable.
Il pourrait faire peur.
Dans la glace de ma chambre, droite, voilée,
par la lumière sombre,
il y a mon image, je regarde vers le dehors.
Les voiliers sont encore là,
immobiles,
sur la mer de fer,
encore dans le mouvement de la course où nous a surpris ce matin
l’évanouissement du vent.
Je me regarde, je me vois mal
dans la vitre froide de la glace.
La lumière est si sombre, on dirait le soir.(...)
Voici qu’entre l’horizon et la plage,
un changement commence à se produire
dans la profondeur de la mer.
Il est lent.
Il arrive avec retard.
Contre mon corps, ce froid, de la vitre,
cette glace morte.
Je ne vois plus rien de moi.
Je ne vois plus rien.
Ha, si...
Je recommence à voir.
Devant moi est née une couleur.
Elle est très intense, verte.
Elle occupe une partie de la mer.
Elle retient d’elle beaucoup dans cette couleur là.
Une mer, mais plus petite vous voyez, une mer dans le tout de la mer.
La lumière venait donc de là,
du fond de la mer,
d’un trop plein de couleur dans sa profondeur.
Et le contrejour venait de son jaillissement
de toutes parts aux sortir des eaux.
La mer devient transparente,
d’une luisance,
d’une brillance d’organe nocturne.
On dirait non d’émeraude vous voyez, non de phosphore mais de chair. (…)
Marguerite Duras, extrait de Aurelia Steiner (Vancouver) 1979 |