Vue de l’exposition Mille cent neuf metres, Buropolis, Marseille, 2022
Co-création avec Pierre Lambert
Une invitation VOYONS VOIR Art Contemporain et Territoire
Pourquoi s’incliner ?
Attestée depuis le 15e siècle, l’exploitation du bassin houiller de Provence s’est arrêtée en 2003. Pendant plus de 500 ans, la croûte terrestre, à cet endroit précis, s’est percée de canaux, de conduits, de tunnels. De galeries – si le mot est commun à la mine et à l’art, sans doute faut-il y voir le commun arpentage de terrains abstraits du monde…lire la suite du texte de Jean-Christophe Arcos
Pourquoi s’incliner ?
Attestée depuis le 15e siècle, l’exploitation du bassin houiller de Provence s’est arrêtée en 2003. Pendant plus de 500 ans, la croûte terrestre, à cet endroit précis, s’est percée de canaux, de conduits, de tunnels. De galeries – si le mot est commun à la mine et à l’art, sans doute faut-il y voir le commun arpentage de terrains abstraits du monde : le charbon comme l’œuvre y creusent d’insondables puits d’obscurité, des trous de vers ramenant à un temps d’avant la parole même, vers les besoins les plus premiers de lumières, de feu comme de sens, qui rendent le monde humain habitable.
C’est d’ailleurs ce qui frappe d’abord avec le puits Yvon Morandat : inauguré en 1989, à la fin de l’ère qui a vu l’Europe de l’Ouest se perforer de toutes parts d’innombrables charbonnages, il est profondément anachronique.
Flottant dans un air du temps révolu, hérissant du trait d’ocre si tendrement vernaculaire des zones pavillonnaires environnant Marseille une plaine dodelinant entre l’anthracite du bitume et le vert dur des pinèdes et des chênaies, le chevalement plastronne : il voudrait tutoyer, et contredire, le gris délavé des sommités du Pilon du Roi et du massif de l’Etoile.
Sa richesse vient des profondeurs : à front renversé, l’iceberg noir immaculé a plongé son œsophage jusqu’à 1.109 mètres ; au fond, l’eau gargouillait de pompages souillés des débris de lignite épuisant les eaux d’exhaure jusqu’aux quartiers nord de Marseille par un canal incliné. Puis l’ascenseur s’est arrêté. Ce sera bientôt au tour de cette galerie de la mer.
En 2020, Claire Dantzer et Pierre Lambert entament sur ce site un travail de poétique fiction autant que d’archéologie mémorielle.
Au fond, les machines sont aujourd’hui ensevelies dans le monde du silence, sous des tonnes d’eau, comme les vestiges du naufrage de la révolution industrielle. Seules restent au jour les traces fossiles d’ouvriers aujourd’hui disparus : un casque embouti, une paire de gants effilochés, des graffiti témoignant du vacarme d’une lutte des classes désormais étouffée par le spleen libéral*.
Face à l’immensité des échelles invisibles qui font du puits Morandat le plus profond d’Europe, les deux artistes cherchent à établir une commune mesure ; brandis dans le vent, trois drapeaux se répondent : l’un fixé au sommet du chevalement, l’autre à l’entrée de la formidable béance du puits, le dernier enfin porté jusqu’à un point de surface éloigné de la même distance qui sépare le pied du chevalement et le fond du puits.
1.109 mètres. Cela paraît un rien quand on s’incline, mais, à la verticale, il faut traverser bien des strates, bien des dimensions, bien des durées condensées en épais cailloux pour les atteindre.
Jean-Christophe Arcos
* Me revient en tête, on le dirait écrit en pensant à ce projet, le Spleen de Baudelaire :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
X, Y, Z, 2022
Drapeaux, tissus, acier, Mats 600 cm
X = 500 x 300 cm
Y = 450 x 350 cm
Z = 370 x 150 cm
El pueblo Unida, 2022
Impression aqua paper studio aza, 250 x 700 cm
Topo, 2022
Parcours de la performance sur carte vue satellite et légendes
Impression en Rizographie, 60 exemplaires, 29,7 x 32 cm
Mille cent neuf mètres, 2022
Vidéo diptyque, performance