Antoine D'AGATA 

Fractal
Internet, 2012-2014
 
Fractal est constitué de milliers de mugshots, portraits de femmes suspectées de délits et photographiées par la police au moment de leur arrestation. Ces images, diffusés sur internet par de nombreux bureaux de police à travers les États-Unis, sont collectées en 2012 et 2013. Je ne peux plus, durant cette période, prendre de photographies. Compulsivement, je consacre une grande partie de mon temps à cette recherche et j’accumule plusieurs milliers d’images. Je sélectionne les visages de femmes, toutes prostituées ou strip-teaseuses, selon les mêmes critères: leur expression, leur regard. Le titre Fractal s’impose, en référence à cette notion mathématique désignant des objets dont la composition initiale reste invariante par le changement d’échelle. Une petite partie infime de cette collection est présentée au Bal lors de l’exposition Anticorps début 2013. Ces images viennent clore l’exposition, ainsi que le livre qui l’accompagne. Elles sont mises au contact d’autres images, d’archives de police, portraits de prisonniers retenus dans des cellules libyennes, ou de cadavres calcinés qui côtoient eux-mêmes des corps décharnés proches de l’agonie.Arrêté dans tout élan photographique, j’affirme que je ne pourrai jamais faire mieux que ces images recueillies sur internet, que je ne pourrais jamais aller plus loin que cette vérité à laquelle ces images nous renvoient. Un monde en prise à une violence souterraine et permanente, révélatrices d’une pornographie latente et généralisée. Par leur regard, ces femmes nous prennent en otage de leur situation et de leur condition. Otages du protocole judiciaire qui nous permet d’avoir accès à elles, punies d’avoir commis le délit de prostitution pour la plupart d’entre elles, elles sont offertes à qui veut bien les voir. On les scrute, les observe, ressent de l’empathie pour elles, du dégoût parfois. Elles répondent par le silence à l’obscénité des regards portés sur elles. La tentation est de donner une existence à ces femmes de la marge, de mettre au jour la violence institutionnelle, politique et économique au cœur de nos sociétés. Mettre face à cette violence, banalisée et universelle, le contre-champ violent et subversif de la nuit. Mais les images sont vouées au néant, détériorées par le pixel qui fait son œuvre, détruit l’identité pour anéantir toute possibilité d’humanité, tout sentiment expression qui aurait pu jusqu’à la fin nous retenir et laisser croire que ces filles existent.
 
Portraits of women suspected of offenses and photographed by the police at the moment of their arrest. Images shared on the Internet by police stations throughout the United States, collected in 2012 and 2013. During this period, I can no longer take photographs. Compulsively, I accumulate thousands of images. I select the faces of prostitutes or strippers based on the look in their eyes. Fractal, a mathematical idea designating objects whose initial composition remains invariable with changes in scale. I will never be able to go beyond the truth that these images reflect. A world taken by permanent subterranean violence, revealing latent and generalized pornography. Through the look in their eyes, these women make us hostages of their situation and conditions. Hostages of the judicial protocol that allows us to have access to them, they, punished for committing the offense of prostitution and on offer for whoever wishes to see them. We examine them, observe, we feel empathy, even disgust, sometimes. They respond to the obscenity of others’ eyes on them with silence. The images are doomed to nothingness, deteriorated by the pixel that’s done its work, destroys identity, and annihilates all possibility of humanity.
Fractal 2014
Amor Editions, Barcelona, 2014
 
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