Antoine D'AGATA 

 
“We had, in the end, to see with lifeless eyes,
to become God, or else we wouldn’t have known the descent, or anything at all.”

Georges BATAILLE, Inner Experience


1999 - Mexico, first took ice. 2005—First trip to Cambodia, heroin.

2007 - September-December: filming of Aka Ana in Tokyo, using ice daily; 30/31 December: stopover in Phnom Penh, meeting with Ka.

2008 - 1 January: Flight to Paris; 11 January: return to Phnom Penh, moved in with Ka (51st Street, near the Psar Thmey market); January-May: start of addiction to ice and Yama; glimpses in become rarer and rarer (time in three-phase rhythm as characterized by methamphetamine: flash, reload, total collapse after three or four days of continuous usage); March: trip to Marseille and return to Cambodia; 4 April: death of Victor d’Agata, father of Antoine, who, having learned of his worsening condition, had returned to France; return to Cambodia; May: Leave Ka; enter relationship with two Vietnamese prostitutes, B. and L., incestuous sisters; leave Cambodia; extreme fatigue; August: days spent with his daughters S., L., D. and E.; September: one week trip to Lebanon to film, morphine (approx. 30 shots); October: one month trip to Brazil (Sao Paulo and Salvador de Bahia, crack); November-December: extreme fatigue, return to Cambodia, using ice and Yama daily, violent meeting with Ka at the White Cobra.
Ice, Phnom Penh, Cambodia, 2008
Ice, Phnom Penh, Cambodia, 2008
Ice, Phnom Penh, Cambodia, 2008
Agonie
Ice, 2012 - Phom Penh, Cambodge, 2011
 
L’odeur, la lumière fade qui se répercute dans l’espace clos, un arrière-goût de cendres au fond de la gorge; je cherche à deviner l’anatomie secrète de la fille, l’odeur du trou noir qu’elle porte au creux du ventre; comme une bête aux aguets, la mort en marche, partout, la pourriture qui ronge les corps de l’intérieur ; la vermine qui infeste les organismes contaminés par la peur, la maladie, l’impuissance... la chambre : ultime refuge; sur la table de nuit, les cachets de yama; les cafards grouillent, l’étrangeté de la langue est chaque jour moins pesante; mes reins douloureux, les os qui apparaissent sous sa peau, ma tête lourde, le battement des veines, les tympans enflés ; dans ma main mon sexe tendu; elle se dénude en un instant, exhibe son sexe, ouvre la fente des deux mains; je plonge la gueule dans la plaie tiède; gestes et espaces détraqués ; le lit, la chaise, le paquet de cigarettes, la bouteille d’eau; les formes de son corps s’effacent progressivement; elle écarte les cuisses, demande à jouir; son corps offert, à portée de bouche, présence inintelligible; le désir de violence et la douleur consentie rendent les rapports implacables... glissement halluciné vers l’immobilité d’un temps minéral, indéchiffrable apathie. Il n’y a plus rien qui la retient... abîme... perdue dans un silence borné, inaccessible, illisible; ses yeux se révulsent; le sexe irrigué de sang pénètre le corps inerte, le blanc des yeux sous ses paupières entrouvertes; entre ses cuisses, la substance épaisse, poisseuse; l’odeur du sperme qui a tourné colle à ses gencives; chair en manque, après la baise, les vapeurs d’amphétamines, se branler, érection, baiser encore; les couilles vidées de leur foutre, la verge enfouie dans le con; la bouche mâle qui se laisse baiser, les doigts qui pénètrent l’anus femelle; le réveil, les courbatures, les muscles abdominaux bandés, les bras douloureux, la verge et les parois vaginales à sang; mémoire muette du corps, apathie à venir; un point de vue neutre, le corps indifférent qui sécrète sans cesse des fluides et des gaz; vomissures, baves, crachats, bile; ses lèvres sucées, la langue, le palais, l’arrière des dents: ingestion, excrétion, la bouche, trou sans fond où le sang coagule et les microbes couvent comme des morceaux de nuit tournés hystériques; restes de poudre englués de morve et de salive, speed, colle, cristaux, morphine, base; régime alimentaire réduit à l’ingestion de vodka-ice; gencives sanglantes, parodontite, pyorrhée, anémie, scorbut; les caries rongent, tronche édentée par l’intensité junkie, ça ouvre la bouche sans fin: bouche diaphragme, ventouse, voracité hors mesure; la nuit qui subitement éjecte les êtres les happe à nouveau, dans le souffle aspiré d’une longue inhalation, la bouche, les dents, la poitrine se fondent dans la nuit vaginale, engouffrement de l’ombre dans l’ombre, dans la chair contagieuse; la fente qui s’ouvre entre les cuisses, entre les fesses, au milieu du visage, entre les mains, dans le sternum, à genoux, à quatre pattes, le dos arc-bouté concave; viande étalée comme dans une boucherie; la tension du désir à travers les nerfs et les muscles; le corps ramené à ses sous-organes, anonyme, dévisagé, débarrassé de la douleur; chair tassée qui s’offre par tous ses trous, les muscles dressés, les vaisseaux saturés, les nerfs écorchés; graisses flasques qui provoquent le désir non plus par leur contour mais par leur mollesse et leur soumission; le dégoût cède à la faim de ce qu’il reste de bestialité dans son corps indiscernable, horrible carcasse latente, beauté hermétique; se laisser dévorer, supplicier, réduire aux dernières extrémités, échafaudage bestial de l’imagination; pitié, compassion, sympathie, solidarité dans le meurtre; responsabilité illimitée; inhalation; la chair nue d’autres corps; crampes, ça tremble; ses doigts dans le con de l’autre; je la prends par la cheville; les membres engourdis, l’asphyxie, le sang qui bat dans les veines, les pupilles dila- tées, la chimie, le cerveau calme; ma main sur son ventre, son pubis, sur son sein, entre ses cuisses tremblantes; sa respiration, l’haleine fétide, le trou de sa bouche grand ouvert qui aspire mes couilles; je lèche ses plaies; mon index qui s’enfonce dans son anus; l’ongle qui fouille la merde et le sang; elle qui gît, les paupières mi-closes; sa nuque, mon torse, la verge qui n’éjacule pas; sa bouche qui me suce; exhalation; sa bouche qui avale; la feuille d’aluminium et les cristaux; elle qui exhale; son souffle dans ma bouche; l’autre brûle les cristaux; son poignet; elle qui gémit, les mâchoires serrées, à quatre pattes encore; ses jambes s’écartent; mon torse en avant; elle qui sort le cul; je la prends par les épaules; les muscles de l’anus qui se contractent et m’aspirent; l’autre lèche les couilles; le ventre qui claque contre les fesses; les mollets tendus; sa bouche pleine de bave; son échine qui se plie; les dents qui mordent les parois molles du vagin dont je suce les plis; son sexe qui s’ouvre; le temps arrêté; la pisse sur sa langue, au fond de sa gorge; mon sexe inerte entre mes doigts; son corps écrasé dans la flaque jaune; l’autre fille inhale; son corps qui enjambe mon ventre; la masse de sa chair; son visage défait; les côtes saillantes de son ventre; sa jambe qui tremble; le souffle invisible derrière la porte, le début du manque... la peur qui s’insinue dans toutes les cellules du corps; j’enfonce mes doigts dans tous ses orifices, mon sexe entre ses dents; son bras tailladé, ses jambes repliées, son regard immobile, les taches brunes évidentes sur sa peau; sa bouche qui crache, quintes de toux; elle gémit, montre le paquet de capotes intact; je pose ma main sur sa bouche; l’effet de l’ice se stabilise; l’envie de vomir mes tripes me secoue le ventre; le goût de la merde dans la bouche, la merde sur mes doigts; elle remue doucement entre mes bras; ses jambes me plaquent contre elle, danse de mort d’une bête à deux dos; éjaculations vides, sueurs froides, elle répare la pipe à eau bricolée dans la bouteille en plastique; organismes en tension, torsion, distorsion, le désir près de disparaître; stratégies orgiaques, flux de mâles et de femelles qui inonde les chambres où règnent isolement émotionnel et exaspération sensorielle; soulèvement des corps que le contact absolu ouvre à la barbarie de l’autre; solidarité de la chair, proximité des gestes, des douleurs, des matières; promiscuité des corps excédés par l’envie; orgie triste et froide, humanité douloureuse, funèbre, vouée à l’inévitabilité de redevenir elle-même; les corps entre- mêlés se diluent dans l’orgasme et le pressentiment fragile d’une jouissance commune, moins égoïste ; figures fragiles qui, à travers la position délibérée de la bestialité,
se préservent de l’insuffisance de la conscience; par le retour inévitable à la fange; l’immobilité, l’obscurité moite où s’abîment les corps asphyxiés dans la seule issue du cri, qui se dévorent, se pénètrent, sécrètent les fluides amers et se fondent irréversiblement dans la masse indistincte de l’orgie; le silence, la pensée qui dérape, la peur qui prend insidieusement le dessus ; je me résous lentement à l’idée d’un sacrifice inéluctable; l’acidité qui ronge le ventre, et l’idée obsessive de la contagion; transmission de germes, baisers, caresses, haleine ; odeurs, écoulements, menstruations, cicatrices, hémorroïdes, herpès; hystérie des humeurs, corps en lambeaux, creusés, absorbés, vomis; dans la pénombre, devant le lavabo, le bras tailladé, dans l’imminence du fix, les veines ramollies sous la peau dure; dégénération des perspectives; masse de viande indiscernable sur le lit; au réveil, vivre avec l’horreur, enfers ordinaires ; dans un temps rétréci les corps pansent leurs blessures ; le souffle, la survie immonde, le cri, l’humanité bafouée d’une communauté comme un bestiaire dont l’humain seul ne peut rendre compte; les instincts, les passions, les émotions, la promiscuité totale de l’orgie exorcisent la prolifération et l’accélération des réseaux; l’épidémie narcotique et la violence terroriste protègent de l’endoctrinement des esprits, une commu- nauté désœuvrée, vulnérable, parce que endommagée viralement par une multitude d’infections qui, passivement, composent l’aléatoire chaotique et pénétrant du contact; d’une cellule à l’autre, transfusion, transmission de marchandises, de défonces, de codes, de germes, de molécules, de virus: la peau cède, de mort en mort, dans l’avenir désastreux d’une infinité d’anonymats: meutes, bandes, épidémies, flux amibiens, la contagion se produit par ingestion de matière infectée par des restes fécaux et vénériens... hématophage, kyste, muqueuses intestinales, cellules épithéliales, leucocytes, trophozoïte, nécroses tissulaires, ulcères à l’épithélium du côlon; conscience de la nullité de la conscience, évidence de la chair, de la position inéluctable de la bestialité jusqu’au crime.
 
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