Jean-François COADOU 

OUI !
 
 
OUI !
2006
Acier, peinture polyuréthane, hauteur : 6,20 m, poids : 5 tonnes 800 kg
Galerie Bruno Mory, Besanceuil
Photographies Michel Arowns
 
 
Lorsque, monté de Marseille, je suis arrivé à Chalon, en mars 2006, pour visiter le chantier et faire connaissance avec l'équipe de la Vie des Formes, ma première impression fut désastreuse...
Un épais brouillard m'empêchait de voir mes pieds et, lorsqu'enfin, vers 14 heures, il se dissipa, je constatais que la Tamise menaçait de crue et que, sur sa berge, le sol était de charbon.…
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OUI !

Lorsque, monté de Marseille, je suis arrivé à Chalon, en mars 2006, pour visiter le chantier et faire connaissance avec l'équipe de la Vie des Formes, ma première impression fut désastreuse...
Un épais brouillard m'empêchait de voir mes pieds et, lorsqu'enfin, vers 14 heures, il se dissipa, je constatais que la Tamise menaçait de crue et que, sur sa berge, le sol était de charbon.
Le charbon est pour moi lié à de très mauvais souvenirs d'enfance. Il m'évoque Zola, la misère et le malheur des pays de mines sous toutes les lattitudes.
Bien heureusement, l'accueil déjà chaleureux d'Yvain Bornibus et de Jacky Gateau, la générosité du projet de Mark di Suvero, le fait que mes hôtes, sans me connaître plus que ça, me confièrent les clefs de la péniche et du chantier, m'inclinèrent à penser que je mettais mes pieds retrouvés dans un lieu exceptionnel !
Rendez-vous fut donc pris pour une résidence en avril.
En avril, la météo ne s'était pas améliorée et je crus que j'avais reculé d'une saison. Cette fâcheuse impression se confirma à l'occasion d'un petit tour en ville : les toits d'ardoise très pentus, et, sur ces toits, une forêt d'énormes cheminées, la tenue vestimentaire des chalonnais, leur accent redoutable et leur stature "allemande" me persuadèrent que j'avais changé de planète.
Une planète où, pour faire fortune, un commerçant un peu observateur vendra plutôt des parapluies et des essuie-glaces que des lunettes de soleil ou des glaces à la vanille...
Mais bon, le premier frisson réprimé, je me mis au boulot.
Et bien m'en prit ! D'abord parce que ça réchauffe, puis parce que ça vous installe dans le lieu et que ça tisse des liens de travail qui dégénèrent en camaraderie.


 
     
     
Projets pour OUI !    

J'étais là, bricolant mes tôles pliées ainsi que de dans mon atelier vauclusien mais sans le soleil, espérant toujours une réponse positive des sociétés d'autoroutes que j'avais sollicitées afin qu'elles me sponsorisent pour un projet monumental, lorsqu'au dixième jour m'apparut le père Noël en la personne de Bruno Mory !
Bruno Mory, tel Kanweilher en d'autres temps, en apercevant ma maquette, ne put se soustraire à cette pulsion devenue rarissime qui consiste à sortir son carnet de chèques pour aider un artiste à réaliser son projet !
L'affaire se conclut dans l'heure et les matériaux (6 tonnes d'acier sous forme de tubes de diverses sections carrées) me furent livrés le surlendemain !
J'avais changé de planète, soit, mais pour le pays de cocagne !
Un pays jusqu'alors inconnu où les gens vous disent "oui" !
Oui aux projets monumentaux, et ce, sans considération ni de l'âge du postulant, ni de la carence dans son parcours de commandes officielles ! Car c'est bien sur ce point du rapport de l'artiste aux institutions culturelles de notre doulce France, que La Vie des Formes, chantier international de création expérimentale, se comporte différemment, avec confiance et générosité : ici, être dans la mode du moment ne constitue pas un critère de sélection, pas plus que l'opinion favorable et parfois insistant d'un conseiller artistique de la DRAC.
Entièrement financée par Mark Di Suvero, sous l'oeil perspicace et bienveillant de Marcel Evrard, l'association la Vie des Formes ne doit rien aux contribuables, elle est libre de ses choix et pratique la relation humaine avec de vieilles valeurs : loyauté, respect, engagement, travail, et l'enthousiasme créatif libéré qui va de pair avec de saines relations.
Les semaines suivantes furent employées, entre mille averses, à tronçonner, assembler, souder, meuler, et peindre (grâce à Angèle venue à la rescousse)... les tubes qui constituent les trois cubes de OUI !
Autour du 15 mai, je me rendis compte que, malgré mes 12 à 15 heures/jour et 7 jours/7 de travail acharné, mon oeuvre ne serait jamais terminée pour le 10 juin, journée inaugurale du chantier de la Charbonnière... Je fis donc appel à Jacques Boisfard, métallo au chômage qui nous rendait de fréquentes et amicales visites.
Bien m'en prit une deuxième fois !
Ce gars-là possède le génie de la ferraille !
Il connaît tous les trucs et astuces pour gagner en temps et en efficacité, et son oeil est implacable de précision et d'exigence !
Oui, d'exigence technique et plastique, je l'affirme humblement car, avant de le voir à l'ouvrage, je me croyais rigoureux... alors que je travaillais comme un "tchapacan" !
Son inventivité, sa bonne humeur constante, associés à la vista, la disponibilité et la gentillesse de Jacky Gateau, changèrent les trois dernières semaines en bonheur absolu, et dans les rires, les bouteilles de Bourgogne, les agapes, les chansons et l'amitié des autres résidents (artistes et architectes), la construction de ma sculpture s'acheva le 9 juin !
Elle aurait pu s'appeler "OUF !" mais non...
... cette sculpture se nomme OUI !
Elle est ma réponse en miroir au oui accordé sans réserve à mon projet par ce groupe de désormais amis que je compte à Chalon.
OUI ! est un mot précieux qu'on ne prononce pas suffisamment en ces temps moroses. Imaginez un monde où nous pourrions répondre oui, auquel nous pourrions adhérer, dont les perspectives d'avenir obtiendraient notre acquiècement... Vieux rêve de l'humanité.
Le français est issu de la langue d'oil, c'est-à-dire de la langue d'oui.
Dire oui en français (à la différence de yes, de ya ou de si qui se prononcent avec un étirement bilatéral de la bouche et sonnent comme un coup de sabre) nécessite une avancée et un arrondissement des lèvres qui miment l'envoi d'un baiser, le son en est doucement mouillé et, comparativement aux idiomes modernes et efficaces, il produit une musique parfumée d'un charme archaïque ainsi les mots de François Villon...
Rien de plus beau qu'une bouche féminine vous disant oui !
Les amoureux se disent oui !
Non ?
Là est mon propos de sculpteur dans l'espace public : éviter le bavardage, utiliser un vocabulaire minimum pour une efficacité maximum, donner un peu de joie, dire OUI !

À Pertuis le 10.VII. 2006
Jean-François Coadou

 
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