Enfant j'ai appris l'Art (la Peinture) dans les pages illustrées du petit Larousse (et la Sculpture sous la statue de Jean Jaurès parlant aux verriers et aux mineurs sur la place, les bronzes XIXème flattant travail physique pour les ouvriers et devoir maternel pour leurs épouses dans les allées du parc du marquis de Solage, et les saints de plâtre en l'église Saint-Privat, à Carmaux). .
Adolescent j'ai persévéré en achetant au petit bonheur, à la maison de la presse, de minuscules bouquins de 12 pages…lire la suite
Enfant j'ai appris l'Art (la Peinture) dans les pages illustrées du petit Larousse (et la Sculpture sous la statue de Jean Jaurès parlant aux verriers et aux mineurs sur la place, les bronzes XIXème flattant travail physique pour les ouvriers et devoir maternel pour leurs épouses dans les allées du parc du marquis de Solage, et les saints de plâtre en l'église Saint-Privat, à Carmaux)..
Adolescent j'ai persévéré en achetant au petit bonheur, à la maison de la presse, de minuscules bouquins de 12 pages : l'impressionnisme, le cubisme, l'expressionnisme, le pointillisme, Manet, Braque, Picasso, Léger, etc...
Des tableaux y étaient reproduits en demi-page et noir et blanc. La demi-page inférieure était consacrée à de sommaires explications.
Quand je considérais avoir tout bien compris, je passais aux exercices pratiques en agrandissant des oeuvres sur papier format Raisin, à la gouache et en inventant les couleurs...
Mon père, convaincu de mon génie, ne voyait à cette liberté chromatique aucun inconvénient !
Assez vite je suis passé à la peinture à l'huile sur des toiles où j'inventais mes propres oeuvres, « à la manière de ».
Vers 19 ans j'ai acquis en librairie « peinture et société » de Pierre Francastel : un bond qualitatif !
C'est dans cet ouvrage que j'ai découvert Paolo Uccello et un de ses trois tableaux consacrés à la bataille de San Romano (celle de Londres, nommée Bataille de San Egidio).
Mais toujours en noir et blanc !
Toujours en noir et blanc mais peu importe, j'en demandais pas tant, l'essentiel était le texte.
Le texte de Francastel traite des systèmes successifs de représentation de l'espace du Moyen-âge jusqu'au début du XXème siècle.
Ucello peint ses batailles au Quatrocento alors que la perspective cavalière balbutiante tente de remplacer les solutions précédentes. Il est encore prisonnier des modes traditionnels et, dans ce moment charnière, tente d'expérimenter autre chose...
L'historien dit :
« Trois systèmes de figuration se contaminent ici sans se confondre. Au premier plan, le terrain de la Bataille est mesuré par un cloisonnage de lances brisées, suivant la technique de la Cène d'Andrea del Castagno. Une ligne de plantes vertes sépare cet espace, véritable plateau scénique à travers lequel sont censées s'avancer de front l'une contre l'autre les deux armées, d'un autre espace peint sur une toile de fond qui tombe à angle droit, à la verticale, derrière une frise de verdure. »
Il s'agit d'une scène de théâtre où l'on a la certitude que les chevaux, tous identiques, sont de bois et marchent sur les planches devant un rideau de scène servant de décor indiquant le lieu de l'évènement : les collines de San Romano où, dans une totale indifférence à l'Histoire en train de s'accomplir, les paysans chassent le lapin.
De plus il ne s'agit pas d'un sujet religieux dont les artistes de la Renaissance commencent à s'émanciper. Ouf !
Avant la lecture de cet ouvrage, j'avais exercé ma curiosité sur les modes de représentation cubistes, en tant qu'ils remirent en cause les lois de la perspective en figurant un objet simultanément sous plusieurs angles, et futuristes qui, eux, introduisirent la vitesse.
« Les lois ! Les lois de la perspective » !
Je n'avais pas alors conscience que la perspective cavalière (vision monoculaire d'un homme à cheval) n'était pas naturelle de tous temps mais que ce mode de figuration fut inventé par des artistes du Quatrocento dans une révolution humaniste de la pensée qui ne plaçait plus Dieu au centre de l'Univers.
Une image, qu'elle soit peinte ou photographique est « cosa mentale » comme l'affirma Leonardo da Vinci. Elle est construite rationnellement, fabriquée selon les codes en vigueur à l'époque de sa production.
La perspective n'est pas « vraie », c'est une mathématisation de l'espace vu par un borgne juché sur un cheval immobile.
Paolo Uccello et les peintres de cette époque se trouvaient aux prémices d'une révolution dont les acquis perdurent aujourd'hui : les appareils photographiques, les caméras, sont construits sur ces fameuses lois de l'optique datant de la Renaissance (fermer un oeil et ne pas bouger) bien que maintenant l'on traverse les paysages à 300 km/h, les deux yeux grand ouverts.
Cette révélation me fit faire un voyage à rebours vers les origines de la Peinture.
Après longues observation et étude de ce qui précéda : les innombrables vierges à l'enfant, cènes, miracles, visions et extases de saints, crucifictions, etc..., l'arrivée à la Bataille de San Romano fut un ravissement !
Dieu, que la guerre est jolie ! Quel entrain, quel rythme, quelle joie de vivre ! Ces chevaux roses ou bleus décorés comme des jouets de fête foraine, ces lances, ces bannières, ces panaches sur les casques, ces couvre-chefs abracadabrants, ces armures dorées, ces velours, ces broderies d'apparat, cette virilité enfantine, ces assaults pour de rire ! Une fête pour les yeux et l'esprit !
Et le charme des maladresses et incohérences d'Uccello !
Francastel les souligne : « ...les deux grilles représentatives de l'espace du premier plan par les lignes et par les lumières ne coïncident pas; certaines ombres ont été laissées de côté, d'autres sont simplement indiquées en grisaille : il n'existe aucune unité dans l'indication des sources de lumière... »
On a envie de t'embrasser, Paolo ! Quel bonheur ce serait de rassembler tes trois tableaux !
Je me suis pris d'affection pour cette oeuvre et sa leçon reste obsessionnellement présente dans nombre de mes sculptures par l'organisation du rythme des obliques, du vocabulaire des courbes se heurtant aux angles vifs, par le désir que le spectateur les découvre en marchant, dans un crescendo dynamique des volumes, comme dans un travling latéral.
J'ai donc décidé, bien tardivement (avec presque six siècles de retard !), de créer ces Batailles en trois dimensions, sans volonté d'en faire une copie mais en restant au plus près de l'esprit d'Uccello dont je sens dans mon dos le regard amusé.
On aura compris qu'il s'agit pour moi d'une scène primitive.
On aura compris qu'il s'agit pour moi d'une dette.
On aura compris qu'il s'agit pour moi d'une démarche d'introspection d'autodidacte dont le résultat ne dénote qu'apparemment avec ma production habituelle d'oeuvres abstraites.
Merci Paolo Uccello !
Merci Pierre Francastel !
Le 4 IV 2019
JF Coadou
Batailles abstraites
Bataille V
2020
Bataille VI
2021
Bataille VII
2021
Chaque sculpture est construite sur un socle identique pour l'ensemble des 7 (c'est un parti-pris) de 105 cm / 58 cm.
La hauteur varie entre 85 cm et 120 cm