Boris CHOUVELLON 

Rock, caravan, mirror 2012
200 x 300 x 300 cm
Des rochers monumentaux construits de façon géométrique à partir d’élements extérieurs de caravanes (façades et cotés) et de mirroirs. Semblable aux massifs montagneux ils sont une reprise morcelée du paysage et entrent en dialogue avec celui-ci. Cette installation questionne formellement le rapport à l’environnement qui l’entoure mais aussi le rapport au déplacement, au tourisme et à l’immigration.



L’intervention d’un artiste dans un site se structure souvent selon deux approches opposées. L’une d’elles se dresserait en contraste avec le lieu. L’autre opèrerait plutôt en « miroir ». Ces deux tendances ne correspondent évidemment jamais à des positions absolues. S’il en était ainsi, l’appréhension des oeuvres serait sans doute immédiate, mais bien courte. Une oeuvre réussie au contraire s’ouvre à des interprétations multiples, tantôt éphémères et flottantes, tantôt s’enchâssant profondément dans la mémoire, et souvent tout à la fois claires comme des emblèmes et élusives comme des rêveries.
Pour « Quatre », ce « parcours d’art contemporain à ciel ouvert », Boris Chouvellon a conçu deux interventions, pour deux sites, magnifiques. A Château-Queyras, la paroi rocheuse, prolongée de la muraille défensive qui fait corps avec elle, saisit le spectateur de sa proximité abrupte. Ce mur de roc et de pierres fait écho à la montagne qui lui fait face. Entre les deux le regard plonge sur un paysage resté sauvage. C’est devant cette trouée que l’artiste a inscrit un dessin de civilisation, un obstacle fragile devant le regard qui se dilate vers le panorama. L’oeuvre est une « tour », construite de hauts poteaux de ciment calant entre leurs verticales ces motifs de béton armé qui séparaient autrefois, autour des gares, l’espace des rails (le voyage) de l’espace sédentaire. Les modules rappellent de leur dessin leur vocation de barrière, dont ne serait retenue que la partie aérienne. La composition symétrique, le redoublement tête-bêche des motifs, leur répétition, accentuent l’intention décorative, faite au compas. L’artiste ainsi distingue les motifs comme une expression, gracieuse, de l’art populaire. Malgré la connotation industrielle impliquée par la répétition, et les verticales rappelant ici les structures autoroutières barrant les grands paysages de montagne, la tension entre tour et nature n’occulte pas des interprétations plus complexes. Les tonalités du béton sans apprêt rappellent que ce matériau est lui aussi originaire de la roche. La hauteur de la tour renvoie à la fortification proche, suggérant que l’histoire des hommes n’a pas attendu la modernité pour se saisir des points de vue afin d’exercer une domination sur l’environnement. Les courbes aériennes évoquent les entrelacs décoratifs dont l’inspiration, depuis l’antiquité jusqu’à l’Art nouveau, a toujours été les enroulements végétaux : le dessin des modules retrace naïvement l’intention de ses auteurs anonymes de fusionner la nature à un matériau « civilisé ». Ainsi cette tour nous fait-elle percevoir, à travers la perspective qu’elle barre et exalte par contraste, tout le travail que l’homme doit accomplir sur lui-même pour résister à son désir d’emprise sur le paysage naturel.
A la citadelle de Briançon, l’oeuvre présentée par Boris Chouvellon, « Rock, Caravan, Mirror » est davantage conçue, comme son titre le souffle, en « miroir », – un miroir à facettes qui « reflète » (c’est-à-dire métaphorise) le site. Pour réaliser son projet, l’artiste a bénéficié d’une résidence dans l’Eglise des Cordeliers, un austère bâtiment du XVème siècle aux voûtes élevées devenu ainsi un vaste atelier gardant les traces de fresques et de son usage anciens. Depuis ce lieu privilégié, au coeur de la cité haute et proche du site choisi, Boris Chouvellon a pu s’imprégner du changement des saisons, des contrastes entre la quiétude offerte par l’édifice religieux, la pierre, le roc, et les mouvements de la société moderne. L’atmosphère méditative comme l’ampleur du site se sont transmis aux sculptures. Sans être urbain, l’emplacement choisi n’appartient plus à une nature non policée. L’oeuvre, un ensemble de quatre sculptures, repose comme en un équilibre trouvé et provisoire sur l’une des pointes de la forteresse étoilée construite par Vauban. Un peu en contrebas de la cité ancienne resserrée sur son bâti de pierre, les quatre volumes surplombent le tissu urbain récent, plus lâche, dominé par la voiture et ses inconvénients sonores. Ils soulignent ainsi cette frange entre deux conceptions du monde, deux temps humains, que concrétisent les remparts, eux-mêmes conçus comme le marquage des limites du royaume, d’une langue, d’une communauté encore à peine stabilisée. Au bord de la cité, un niveau de rempart plus élevé offre l’un des points de vue privilégiés sur l’oeuvre. De là, le spectateur saisit sa situation dominante, un nid d’aigle protégé au centre d’une immense couronne montagneuse qui fait luire au loin ses pics neigeux et ses couleurs changeantes. En face, vers la droite, plus loin, au-delà des cols, les champs de narcisses, de pissenlits, de luzerne… l’Italie, les routes et les voitures, les caravanes, un nomadisme contemporain qui fait d’une place forte un site touristique. Les quatre volumes ont été élaborés en polyèdres singuliers, dont la forme condense les rochers roulant de la montagne, les pierres taillées de la forteresse, et le dynamisme pataud des caravanes. Composées desplaques découpées provenant de la fabrication de ces dernières, les sculptures font briller leurs surfaces d’aluminium et de plastique, blanches ou miroir, renvoyant aux cristaux de roche, de neige, tandis que le bariolage léger et bleu d’autres facettes évoque un ciel de décor, un rêve de vacances. Mais le matériau léger et visiblement bricolé des surfaces, les formes en équilibre, renvoient aussi à un autre nomadisme, celui des gitans, qui transgressaient autrefois les frontières et que l’on sédentarise aujourd’hui, à moins qu’on ne préfère les savoir au-delà de son territoire. Ainsi l’interpénétration dans les oeuvres des composantes et des contrastes des sites – permanence des murailles, forme étoilée de la forteresse, présence de la montagne, menace des rochers, puissance du paysage et grandeur des sommets glacés, passage du nomadisme d’aujourd’hui, négation des limites, surveillance des points de vue – tout, de Château-Queyras à Briançon, mène à saisir la beauté des lieux sans nous faire oublier que sous nos désirs de voyage se révèlent encore des barrières et des frontières.
Sylvie Coellier, juin 2012.

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