La série Hot Spot fait référence aux points chauds des géologues, et aux espaces à forte biodiversité menacés par l’homme. C’est le fruit d’une résidence en Islande, à l’hiver 2019-20.
Léon Mychkine : Parlez-moi de vos trois séries récentes, dont la dernière en Islande. Éric Bourret : La série Hot spot fait référence aux points chauds des géologues, et aux espaces à forte biodiversité menacés par l’homme. C’est le fruit d’une résidence en Islande, à l’hiver 2019-20. L’artiste Islandaise Mireya Samper invite tous les deux ans durant le festival ‘Fresh Winds’ 40 à 50 artistes de toutes disciplines et de tout continent. Une expérience humaine intense et remarquable ! Travaillant en permanence avec l’extérieur, je suis dépendant des rudes conditions météo et de basse lumière à cette période de l’année. L’enjeu est fort motivant ! Vous l’avez compris, l’ensemble des séries reflètent un besoin de me frotter corps et esprit aux éléments vifs et naturels. Le travail durant de longues années sur la chaîne Himalayenne, et le cercle polaire plus récemment, en rend compte. Comme vous le savez, j’ai également beaucoup travaillé sur les forêts primaires dans les îles de la Macaronésie. Un nécessaire dépouillement par le sauvage, le primitif s’opère. En fait, la totalité de mon travail s’effectue durant l’arpentage de paysages. Il y a, me semble-t-il, une nette filiation avec les artistes marcheurs du Land-Art Anglais. Il y en a d’autres, mais je me sens très proche de Fulton ou Long, et suis admiratif de ce qu’ils ont accompli… Traverser et être traversé par le paysage, ne rien modifier et revendiquer la marche comme art de vivre. L’idée est de rendre visible l’expérience du trajet parcouru et de cristalliser cette expérience à l’aide d’un appareil photographique. Le travail peut prendre plusieurs formes, et les trois séries dont nous parlons, aux rendus quasi cinétiques, sont le fruit de superpositions d’instantanés dans la même image. En fait, je m’impose un protocole, une règle du jeu. Je décide de marcher sur tel paysage et de le photographier x fois en me déplaçant. J’enregistre plusieurs fois ce qui se trouve en face de moi et produis ainsi des surimpressions. Ce qui m’intéresse dans ce ‘process’, c’est d’utiliser à contre-courant une machine photographique dont la fonction convenue et étrange est d’arrêter le temps. Or le temps ne peut s’arrêter. La compilation de mémoires et d’instants se produit sur le terrain, à la prise de vues. Non à l’atelier en postproduction. Pas de repentir possible. J’assume et revendique l’aléatoire, le mutable et le magique qui en résultent.
Le déplacement du corps dans le paysage s’inscrit également dans l’image. Je considère, à tort ou à raison, que ce séquençage rend compte d’un télescopage temporel. Viennent cohabiter la durée d’un Sapiens et ses 80 années d’existence et un paysage qui va vivre sa vie durant 10 ou 100 millions d’années. Cet imperceptible mouvement géologique et l’inscription de l’éphémère temporalité de l’homme m’intéressent. Pour revenir à l’aléatoire, je travaille désormais en numérique, mais j’ai longtemps travaillé uniquement en argentique. Vous n’avez aucun moyen de valider ce que vous avez fait tant que les films ne sont pas développés. L’attente et puis son lot de magie opère véritablement dans ces conditions. Évidemment, depuis toutes ces années, il y a une certaine maitrise ; mais flirter avec le hasard et travailler avec les interstices, les accidents qu’il me propose, les différents moments qui viennent s’entrechoquer dans le film ou fichier pour donner, in fine, une image organique, non cérébrale. Le travail du photographe aveugle Evgen Bavcar et son travail sur l’invisible est, à ce titre, fascinant. C’est en effet avant tout votre corps qui photographie. Toutefois, « le cerveau reprend la main » durant l’editing lorsque vous choisissez dans l’ensemble des visuels. Il y a une étonnante conjonction dans la mise en place d’un protocole de rigueur quasi conceptuelle et le souhait d’un laisser agir du paysage, un débordement du visible. Tout peut apparaitre, une multitude de “possibles” sont présents dans la même image. Des images de paysages flottants côtoient les secousses telluriques. Les trois séries dont nous parlons “Hot Spot”, “Primary Forest”, “Montagne-Eau”, procèdent à peu près de la même manière.
LM : Donc vos photos de paysages sont indissociables de la marche, n’est-ce pas ? EB : Absolument. La distance à parcourir est généralement imposée par la distance qui me sépare du motif. J’effectue 6 ou 9 prises de vues en marchant. Je ne sais pourquoi, c’est ainsi. Par exemple, je peux décider ce jour de marcher durant 500 mètres, cadrer ce qui est en face de moi, et déclencher 9 fois à différentes distances. De fait, le corps va épouser les irrégularités du sentier. Les vues du même paysage ne seront jamais les mêmes. C’est comme si vous donniez au paysage la pleine mesure de ne montrer que ce qu’il veut montrer.
LM : Vos photographies, elles ont un caractère assez abstrait, quand même. EB : Oui. Je me sens beaucoup plus proche de Joan Mitchell et Philip Guston traitant des nymphéas de Monet que de Caspar David Friedrich et ses mers de nuages par exemple.
LM : Et ce caractère abstrait, il est le résultat de la superposition, ou bien vous ajoutez une petite touche personnelle ? EB : Je travaille uniquement à partir des informations inscrites dans le négatif ou celles, immatérielles sur le fichier. Il s’agit, en postproduction, de moduler les densités, la chromie, renforcer ou alléger telle information, d’équilibrer les masses, etc. Un langage plastique emprunté aux peintres avec des méthodes forcement différentes pour un traitement uniquement photographique. Il y a toujours un débat ambigu autour de la technique photographique et le prétendu réel ou trucage d’une photographie.
LM : Donc la “simple” superposition des images ne vous suffit pas, vous ajoutez votre patte. EB : Je ne présente pas le fichier brut mais ne rajoute pas d’éléments qui ne ce seraient pas inscrits dans l’image durant les prises de vues. De même que je n’associe pas plusieurs fichiers ou calques en postproduction à l’atelier. Ce trait à dominante graphique où tout serait contrôlé n’est pas mon propos. L’ensemble des prises de vues et son lot d’incertitude, d’aléatoire, est inscrit dans la même image, et puis le résultat ensuite affiné à l’atelier pour fabriquer un tirage photographique qui soit au plus proche de ce que je souhaite en assumant les contraintes, les pertes, comme les excès de ce qu’induit la multi-exposition.
LM : Tout à l’heure cela m’a étonné que vous disiez « je marche sur le paysage ». Vous ne marchez pas dans le paysage, vous marchez dessus ? EB : En effet, Je marche dans le paysage. Il y a bien ce souhait de s’associer, de s’insérer au paysage. Mais, une présence dont seule la scansion des pas rend compte. Une association corps-paysage dont l’ensemble est fragmenté. J’essaye de produire des pièces immersives qui me dépassent, me surprennent, dont le caractère plastique, musical et mutable, prend le dessus, s’autonomise. La force et faiblesse de la photographie me semble-t-il, est qu’elle est inféodée au réel. J’ai choisi de la travailler non uniquement comme art de l’empreinte, mais par résonance, en sympathie, afin de rendre compte de l’épaisseur, du flux continu qui anime le paysage.
LM : Pour en revenir à vos trois séries, quand on regarde celle faite en Islande, on a l’impression que vous avez moins superposé, non ? EB : Vous avez raison, mon inscription physique au paysage est moins présente. J’ai beaucoup moins bougé. En janvier en Islande, le grand froid n’aide pas. J’ai travaillé de manière plus resserrée. En revanche, j’ai compilé l’ensemble des paysages autour de moi. Une mémoire des paysages. Non une succession d’un seul paysage.
LM : Vous vous êtes moins attardé là… EB : La grosse difficulté, c’est la fenêtre météo… À cette époque de l’année il y a environ 4 heures de soleil par jour. Il ne quitte pas l’horizon, aussi il ne faut pas traîner et tout préparer en amont. Une lumière atone Tarkovskienne et une ambiance post-nucléaire dans les hectares d’amas de laves gelées.
LM : Et donc, pour que je comprenne bien, vous avez moins superposé ? EB : Non, j’ai tout autant superposé, six fois ; parfois neuf.
LM : Mais en bougeant moins. EB : Oui. Parfois, au regard de ce que m’offre le paysage, la distance à parcourir et les conditions météo, ou afin de ne pas rentrer dans une surenchère stylistique, je modifie le process, comme je l’évoquais précédemment à propos des compilations de points de vues. Que se passe-t-il lorsque j’essaye cette nouvelle proposition ? Qu’est ce que cela engendre en terme de sens et de plasticité ?
LM : En tout cas, ce qui est clair, chez vous, c’est qu’une photographie banale d’un paysage, ça ne vous intéresse pas. EB : Qu’entendons nous par une photographie banale ? Une image-empreinte qui épouserait fidèlement, scrupuleusement, une fraction de ce qui est là et ce, durant un instant ? La majorité des artistes photographes ont fait œuvre ainsi. Voyez-vous, je viens de parcourir à pied, durant dix jours, les paysages glaciaires des Alpes. L’environnement austère qui vous entoure et vous aspire regorge de micros événements qui se télescopent, se conjuguent ou s’annulent simultanément. Le vent, le soleil, le brouillard conjugués à vos pas et votre souffle, le tournoiement des choucas, les micros avalanches, le son sec des pierres qui dévalent, le craquement et le gémissement du glacier etc. Comment rendre compte de tout ces événements éthérés et telluriques qui se produisent au même moment et dont vous faites partie, disparaissent et se réinventent dans un flux continuel ? Comment cristalliser cette expérience organique et sonore et la projeter dans une matière plastique ? En superposant plusieurs instants dans la même image et en assumant l’aléatoire et le magique qui en découle j’ai la sensation d’être au plus proche du réel.
Photographe arpenteur, ainsi qu’il aime à se présenter, Éric Bourret situe l’expérience de la déambulation au cœur de son travail. Les œuvres qu’il réalise depuis près de trois décennies procèdent pour la plupart d’explorations solitaires au sommet de l’Himalaya, au sein des forêts primaires de Macaronésie ou sur les étendues volcaniques islandaises.
Lorsque la délégation interministérielle à l’Aménagement du territoire et à l’Action régionale (DATAR) lance en 1984 une commande publique de photographies ayant pour objet de « recréer une culture du paysage », Éric Bourret a tout juste vingt ans et si ses influences artistiques sont d’abord à rechercher du côté de la peinture, de la musique et de la littérature largement convoquées à l’heure d’analyser son travail, il reconnaît bien volontiers que nombre des photographes de cette mission, désireux de proposer une expérience du paysage davantage qu’un inventaire, l’ont marqué profondément. Comment se manifeste cet héritage photographique dans son travail ? Parmi les vingt-neuf photographes de la mission de la DATAR, Éric Bourret en distingue trois qui, outre leur attrait commun pour la marche en tant qu’expérience privilégiée du paysage, l’ont particulièrement intéressé : Sophie Ristelhueber, Josef Koudelka et Lewis Baltz dont il retient avant tout la « radicalité1 » dans l’approche du motif et du protocole, une radicalité ou plus justement une exigence qu’il partage, son appareil photographique fixé à son corps enregistrant au rythme de sa respiration les paysages qu’il traverse. Ainsi, à considérer son oeuvre photographique à l’aune de l’exposition « Flux », il apparaît qu’Éric Bourret se propose de nous déprendre du monde connu pour en réactiver l’intensité et en révéler la puissance poétique par une relation singulière à l’abstraction, au temps et à la matière.
La perception concrète ou le chemin de l’abstraction
En effet, lorsque l’on observe ses séries photographiques consacrées aux massifs des Bouches-du-Rhône, on ne peut que remarquer la manière dont il installe de la distance en s’affranchissant d’un regard illustratif. Cette volonté de défamiliariser notre regard porté sur la nature se retrouve dans le choix de mettre en avant des images qui confinent à l’abstraction. Dans le paysage, Éric Bourret n’abstrait pas le motif pour l’idéaliser mais en propose une vision qui, dans la droite ligne de la phénoménologie husserlienne, se construit à partir d’une série de perceptions concrètes. Cette approche du motif qui évacue le plus souvent l’horizon2 et tout point de fuite pour ne laisser apparaître frontalement qu’un aplat de matière, se retrouve dans la série des Ouvrages d’art et paysages en montagne, réalisée en 1986 par Sophie Ristelhueber. Éric Bourret évoque également une série postérieure de la photographe, Fait, où le motif – le désert koweitien – est « saisi et dessaisi3 », fragmenté, troublant notre appréhension de l’espace et des échelles. Cette convocation de l’hyper-concret, de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit au sein d’une même image, renvoie par ailleurs à tout un pan de la photographie américaine qui, d’Alfred Stieglitz à FredÉrick Sommer, a su traduire par la photographie l’expérience de la nature. On peut à cet égard rappeler les mots de Minor White dans une lettre à Grace Mayer, l’une des commissaires de l’exposition collective « The Sense of Abstraction » au MoMa en 1960, selon laquelle ses photographies ne sont pas du tout des abstractions : « Mes travaux s’apparentent davantage à ce que Stieglitz nommait des “équivalences”. Mes photographies ont plus à voir avec les taches d’encres de Léonard qu’avec l’abstraction.4 » Éric Bourret, dans sa façon de scruter le monde physique, la concrétude des choses, parvient à en suspendre la représentation au profit d’une abstraction qui s’origine du réel. Ses images privilégiant l’oscillation entre le proche et le distant, le tellurique et l’aérien, provoquent dans la composition un « système de balancier» qui propulse aux extrêmes et qui, selon Daniel Arasse, est propre aux débuts de la peinture de paysage. Pour générer un nouveau sens au paysage, Éric Bourret utilise notamment une palette chromatique ténue voire monochromatique tout comme une de ses références, le photographe italien Mario Giacomelli qui travaillait le concret des lignes de forces du paysage, les sublimant par de puissants contrastes de noir et de blanc, et déclarait : « Je crois à l’abstraction dans la mesure où elle me permet de m’approcher un peu plus du réel.6 »
Un chaos inclusif
Quelle est dès lors l’intention d’Éric Bourret lorsqu’il déploie cette « abstraction » du motif ? Sans doute est-elle à chercher en réaction à ce mal contemporain que le philosophe Paul Virilio identifie comme une « crise de la foi perceptive7 ». On peut donc penser que c’est pour redonner un contenu et une présence à une image qui s’épuise qu’il adopte cette expression photographique proposant aussi à sa manière un réel augmenté. Ce regard au plus près du motif est au coeur de l’oeuvre d’un autre photographe ayant participé à la DATAR et dont Éric Bourret admire l’oeil de peintre : Josef Koudelka. Dernier photographe à avoir fait l’objet en 2013 d’une exposition monographique dans les Musées de Marseille avant celle aujourd’hui consacrée à Éric Bourret, Josef Koudelka a systématisé au moment de la DATAR son recours au panoramique pour photographier les paysages mais en a subverti l’usage habituel consistant à adopter une vue englobante et surplombante qui place l’homme au centre du monde, pour privilégier des plans basculés, étagés, des vues fragmentaires à fleur de sol qui déroutent volontairement le spectateur et transcendent leur sujet. Éric Bourret s’est aussi essayé au panoramique dans sa série montagnarde Hun-Tun (2005-2008) – sans doute un autre clin d’oeil au maître franco-tchèque puisque hun-tun signifie en chinois chaos, titre d’un livre essentiel dans le parcours de paysagiste de Koudelka. Ce chaos serait alors une sorte de constante géo-anthropologique repérée par les deux photographes dans les lieux qu’ils arpentent. Ils se révèlent alors les témoins engagés d’une « image du monde […] qui n’est plus le cosmos limité des anciens, ni l’univers infini, mais un chaos qui comporte une organisation ouverte et mouvante…8 », selon les mots de Michel Collot. Le chaos, en permettant une interaction avec son environnement qui ne laisse pas toujours place au recul nécessaire, à une vue d’ensemble, entérine bien le passage du « paysage panoramique » au « paysage participatif9 », repéré par le philosophe américain Arnold Berleant, un paysage qui est aussi celui des land artists. Rappelons à cet égard que l’exposition « Hun-Tun » d’Éric Bourret au MAMAC de Nice en 2008 était concomitante de celle de l’un des plus éminents représentants britanniques de ce mouvement de l’art contemporain : Richard Long.
Le temps comme vortex
Mais cette dilatation chaotique de l’espace que l’on observe dans les photographies d’Éric Bourret est aussi celle du temps. C’est d’ailleurs la question de l’atemporalité qui intéresse le photographe, car pour lui, le médium offre non pas seulement l’occasion d’arrêter le temps mais celle de percevoir le mouvement des choses, l’impermanence de la nature, dans une recomposition perpétuelle de la forme qui dépasse la temporalité humaine. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de constater que les êtres humains sont quasiment absents des photographies d’Éric Bourret. Comme dans les paysages de Koudelka, ils ne sont que des silhouettes discrètes, chargées de donner la mesure des lieux, tout en rappelant sans emphase que dans ces paysages sauvages et reculés, l’Homme n’est que de passage. Ce rapport au continu et au discontinu qui se dévoile dans le tempo répétitif, cyclique, mais toujours légèrement différent de son inspiration/expiration de photographe-marcheur, se retrouve aussi dans l’oeuvre de Lewis Baltz, missionné par la DATAR. La radicalité conceptuelle et l’aspect performatif de ce photographe américain intéresse Éric Bourret en ce qu’elle le rattache aux land artists européens car « elle ne vient pas modifier le paysage par une intervention de l’artiste10 ». Pour la DATAR, Baltz entreprend la réalisation à Fos-sur-Mer de 21 prises de vues en noir et blanc à distance de la ville, des détails de terrains vagues qui suggèrent la présence de l’homme ainsi que le montrait déjà sa série de 1974 The New Industrial Parks near Irvine, California. Cette collecte photographique participe à la quête d’abstraction en mettant en tension le détail de l’échantillonnage et la totalité construite par l’installation et se substitue ainsi à la représentation, à l’idée d’un paysage à restituer tel qu’il est. L’absence de dimension narrative, cette intention d’atemporalité s’affirme comme le pendant temporel de la quête d’abstraction du motif et chez Éric Bourret se manifeste dans le déploiement d’un temps perçu comme un arrêt continu. C’est comme si, pour filer la métaphore musicale, il s’agissait de créer une photographie tenuto, ce dont témoigne d’une certaine façon la rythmique des troncs photographiés dans Layering time : certes, leur verticalité marque un coup d’arrêt au regard mais ils deviennent comme des cordes qui, de bas en haut, tiennent la vibration dans un mouvement perpétuel et invitent à une lecture non linéaire du temps. Le palimpseste temporel que crée ce feuilletage des vues « respirées » de la nature fait apparaître la temporalité dans sa matérialité plastique. À cet égard, Éric Bourret rapproche aussi volontiers son appréhension temporelle de celle de l’artiste allemand Dieter Appelt pour qui les formes photographiques prennent naissance à travers des notions proches du vortex, cette projection spatiale du temps à travers laquelle il souhaite rendre apparent un temps sans fin et qui donnera d’ailleurs le titre à l’une de ses séries de 1992. Éric Bourret s’attache également à dépasser la fixité pour rendre l’image active et révélatrice de cette condensation temporelle et de ce processus de métamorphose conditionné par les appareils d’enregistrement. Les éléments – l’eau, l’air, la terre – si présents dans les tirages d’Éric Bourret sont magnifiés par le côté tourbillonnant des images obtenu par le rythme de la respiration. Si selon Julien Gracq, l’écriture dès qu’elle est utilisée poétiquement est « une forme d’expression à halo11 », on pourrait dire que la photographie d’Éric Bourret est également à halo, qu’elle procède par irradiation successive à partir d’un centre dont le parangon est certainement la série Excuse me, while I kiss the sky, nébuleuse de laquelle émerge un point astral. Cette série emprunte son titre à l’une des paroles de Purple Haze de Jimi Hendrix, morceau dans lequel la réverbération de la guitare forme aussi une sorte de halo sonore. Le regard va ainsi se perdre dans le paysage, s’immerger en lui mais pour mieux se donner à voir comme expérience sensuelle de la nature dont le rendu tremblé s’affirme comme une sensation plastique.
Une émotion matiériste
En ce sens, si la filiation d’Éric Bourret avec certains des photographes de la DATAR que nous venons d’évoquer semble évidente dans le souhait de mettre au centre de sa pratique l’expérience du paysage, il convient toutefois de remarquer que celui-ci va plus loin que ses prédécesseurs. Tout d’abord, là où les photographes de la DATAR délaissaient la vision du paysage pittoresque pour une expérience de celui-ci qui les conduisait à découvrir les multiples facettes socio-politiques d’un territoire, Éric Bourret cherche à entrer dans le champ de la nature pour proposer une photographie essentialiste. En outre, en impliquant son corps entier dans son effort pour approcher la nature elle-même, à tel point que les mouvements de celui-ci, l’ascèse du souffle calé sur ses pas, participent à la genèse des images, Éric Bourret dépasse le renouvellement de la tradition esthétique d’un genre pour proposer une véritable incorporation de la nature dans ses images. L’artiste ne se met pas face à la nature comme le ferait un naturaliste mais il se place in medias res, au coeur du paysage, ce que vient conforter le rendu pulsatile de ses images. La dimension « primitiviste12 » de son oeuvre lui fait peu à peu dépasser cette idée d’une expérience visuelle du paysage pour en développer toute la dimension sensorielle, voire synesthésique. Pour lui, être en présence de cette montagne, de cette forêt, de ce ciel ou de cette mer, c’est bien plus que de l’avoir devant soi, c’est appartenir à ce paysage à travers le mouvement du corps, sa traversée qui saisit le lieu dans ses qualités. Ainsi, dans la série Dans la gueule de l’espace, la relation entre l’artiste et l’élément minéral est exacerbée dans l’acte photographique qui autorise un rapprochement cadré de la portion de montagne sélectionnée similaire à l’action du toucher. Apprendre à voir un paysage tout en se débarrassant du primat de la vue, en se dégageant de l’« attitude spectatoriale13 » dénoncée par Alain Corbin, où le paysage reste à distance, extérieur, pour restituer cette interrelation, ce passage de l’in visu à l’in situ, permet alors à Éric Bourret de considérer la nature comme un véritable Umwelt, milieu humain, « être commun14 » qu’il convient de préserver et ce que l’on soit en France, en Chine, en Islande ou dans les Açores, l’internationalisation de ses terrains de prises de vue attestant aussi de cette capacité d’universalisation qu’offre son regard. L’exercice de la prise de vue se mue dès lors en un rituel que le photographe nous incite à partager avec lui : la présentation de ses tirages grand format sur papier mat, souvent à bords perdus afin d’absorber sans le circonscrire le motif, et toujours sans verre pour que l’immersion dans l’image soit totale, amène le visiteur à en déceler tous les micro-éléments, laissant « papillonner15 » son regard dans cette image à tiroir, quitte à être retenu parfois par sa surface rugueuse, texturée mais toujours perméable à l’oeil. Quand le regard d’Éric Bourret bute sur un sommet ou un enchevêtrement touffu de branches, sa photographie ne prend pas acte d’un obstacle mais révèle bien au contraire des biais pour s’enfoncer vers l’illimité : c’est ce que permet par exemple la présence, dans les images de la série Pangaea, de lignes de sentier qui connectent le chemin à un horizon le plus souvent horschamp. Le mouvement de la respiration qui trouble l’image permet d’en redistribuer la matière en surface, créant une matérialité rayonnante, « un bouillonnement baroque16 » pour reprendre les termes du photographe lui-même. Éric Bourret développe dans sa photographie une forme de « matière-émotion », selon le titre éponyme du livre de Michel Collot17, qui s’affirme comme une façon de transposer l’expérience du paysage traversé dans l’image. Opter pour cette concentration matiériste du regard le conduit à faire émerger ce que nous pourrions nommer une photographie-concrétion, faite de sédimentations successives qui, figées dans l’image, n’en distillent pas moins la vision d’une mutation organique.
Éric Bourret prend donc en compte au coeur même de son dispositif le processus évolutif de la nature et le titre de « Flux » retenu pour son exposition marseillaise traduit bien cette labilité à l’oeuvre dans la matière temporelle et spatiale de ses images. Sa réflexion paysagère articulée davantage avec la nature qu’avec le territoire souligne que le flux à l’oeuvre s’attache à la transcription d’un « monde originaire18 » si cher à Gilles Deleuze , riche de possibles, dans lequel les forces de la nature se construisent et se déconstruisent de manière mouvante, s’agrègent et se dissolvent, passant, le temps de parcourir le catalogue de l’exposition, d’une mer de glace à une mer de nuages.
Héloïse Conesa, 2021
1 Éric Bourret, entretien avec Héloïse Conésa le 28 mai 2021
2 Notons que la série Zéro, l’infini, consacrée à l’Atlantique et la Méditerranée, si elle met en avant la ligne d’horizon comme ligne de partage
entre la terre et le ciel en propose aussi progressivement la dissolution au fur et à mesure que l’eau comme l’air s’obscurcissent.
3 Éric Bourret, ibid.
4 Minor White à Grace Mayer, cité dans Shape of Light 100 Years of Photography and Abstract Art, Londres, Tate Modern, 2018, p. 68
5 Daniel Arasse dans Le détail, Paris, Éditions Flammarion, Coll. « Champs », 1996, p. 249
6 Mario Giacomelli cité dans l’exposition « Mario Giacomelli, métamorphoses », BnF, 2005
7 Paul Virilio, La machine de vision, Paris, Éditions Galilée, 1988, p. 46
8 Michel Collot, La Pensée-paysage, Arles, Éditions Actes Sud, 2011, p. 54
9 Arnold Berleant évoque le « participatory landscape » dans son livre Art and engagement, Philadelphie, Temple University Press, 1991, p. 69
10 Éric Bourret, ibid.
11 Julien Gracq, Lettrines 2, Paris, Éditions José Corti, 1974, p. 81
12 Éric Bourret, ibid
13 Alain Corbin, L’Homme dans le paysage, Paris, Éditions Textuel, 2001, p. 20-21
14 Augustin Berque, La Pensée paysagère, Paris, Éditions Archibooks, 2008
15 Éric Bourret, ibid.
16 Éric Bourret, ibid.
17 Voir Michel Collot, La matière-émotion, Paris, Éditions PUF, 1997
18 Gilles Deleuze : « C’est un fond, ou plutôt un sans-fond fait de matières non formées, ébauches ou morceaux », L’image-mouvement, Paris, Éditions Minuit, 1993, p. 174
Orogenic photography
When the French government’s Land Development and Regional Action Delegation, better known by its acronym DATAR, commissioned photographers to “recreate a landscape culture” in 1984, Éric Bourret was just 20 years old. While artistic influences from the worlds of painting, music, and literature are widely evoked when analyzing his work, he readily admits that many of the photographers from the project, who sought to offer an experience of the landscape rather than an inventory, left a deep impression on him. How does this photographic heritage manifest itself in his work? Among the 29 photographers of the DATAR mission, Éric Bourret singles out three who, beyond their shared attraction to walking as a privileged means of experiencing the landscape, hold a particular interest for him: Sophie Ristelhueber, Josef Koudelka, and Lewis Baltz. These photographers displayed a “radicality”1 in their approach to motifs and methods that marked him, a radicality or, more precisely, a rigor that he shares, as he attaches his camera to his body to record the landscapes he crosses to the rhythm of his own breath. Consequently, when considering his photographic work in regard to the “Flux” exhibition, it appears that Éric Bourret proposes to deprive us of the known world as a way to reactivate its intensity and reveal its poetic power through a singular relationship to abstraction, time, and matter.
Concrete perception or the path to abstraction
Indeed, when we observe his series of photographs devoted to the massifs in the Bouches-du-Rhône, we can’t help but notice how he establishes distance by freeing himself from an illustrative point of view. This desire to defamiliarize our vision of nature is evident in the choice to give prominence to images that border on abstraction. With landscapes, Éric Bourret does not render a motif abstract in order to idealize it, but instead proposes a perspective that, in the tradition of Edmund Husserl’s phenomenology, is built from a series of concrete perceptions. This approach to the motif, which frequently evacuates the horizon2 and any vanishing point so that from a frontal perspective there only appears the flatness of matter, is found in the series “Ouvrages d’art et paysages en montagne” [Works of art and landscapes in the mountains] produced in 1986 by Sophie Ristelhueber. Éric Bourret also evokes a later series by the photographer, “Fait” [Fact], where the motif – the Kuwait desert – is “invested and divested”3, fragmented, disturbing our understanding of space and scale. This summoning of the hyper-concrete, of the infinitely large as well as the infinitely small within the same image, also evokes an entire branch of American photography that, from Alfred Stieglitz to Frederick Sommer, has been able to translate the experience of nature through photography. In this respect, we can recall the words of Minor White in a letter to Grace Mayer, one of the curators of the group exhibition “The Sense of Abstraction” at MoMA in 1960, in which he asserts his photographs are not at all abstractions: “My work is more akin to what Stieglitz called ‘equivalents’. My photographs have more to do with Leonardo’s inkblots than with abstraction.”4 Éric Bourret, in his way of examining the physical world and the concreteness of things, manages to suspend representation in favor of an abstraction that originates from reality. His images privilege an oscillation between the near and the distant, the telluric and the aerial, that provokes a “pendulum system”5 within the composition that is pushed to the extremes and which, according to Daniel Arasse, is specific to the beginnings of landscape painting. To generate a new significance to the landscape, Éric Bourret uses a tenuous chromatic palette, even monochromatic, just like one of his influences, the Italian photographer Mario Giacomelli, who emphasized the tangible aspects of the lines of force of the landscape, sublimating them with powerful contrasts of black and white, and declaring: “I believe in abstraction insofar as it allows me to get a little closer to reality.”6
An inclusive chaos
What, then, is Éric Bourret’s intention when he deploys this “abstraction” of the motif? Without a doubt, the answer can be found in the context of a reaction to the contemporary evil that the philosopher Paul Virilio identifies as a “crisis in perceptive faith.”7 We can therefore conclude that he adopts this photographic expression, which, in its own way, also proposes an augmented reality, to restore content and presence to an image that is becoming exhausted. This close examination of the motif is at the heart of the work of another photographer who participated in DATAR and whose painterly eye Éric Bourret admires: Josef Koudelka. In 2013, Josef Koudelka was the subject of a solo exhibition at the Musées de Marseille, the last photographer to enjoy such an exhibition until the one devoted to Éric Bourret. During the DATAR period, Koudelka systematized his use of the panoramic to photograph landscapes; but he subverted the usual practice of adopting an all-encompassing, overhanging view that places the person at the center of the world, and instead opted for a tilted, layered, fragmentary view that deliberately disconcerts the observer and transcends the subject. Éric Bourret also tried his hand at panoramic photography in his mountain series “Hun-tun” (2005-2008) – no doubt another nod to the Franco-Czech master since “hun-tun” means “chaos” in Chinese, which is the title of one of Koudelka’s most important landscape books. This chaos would then be a type of geo-anthropological constant that the two photographers identified in the places they surveyed. Both men reveal themselves as committed witnesses to, in the words of Michel Collot, an “image of the world [...] that is no longer the limited cosmos of the ancients, nor the infinite universe, but a chaos that includes an open and moving organization.”8 By fostering an interaction with its environment that does not always leave room for the necessary distance or an overarching view, chaos ratifies the passage from the “panoramic landscape”9 to the “participative landscape” that was identified by the American philosopher Arnold Berleant, a landscape that is also that of the land artists. In this respect, it is helpful to remember that the exhibition of Éric Bourret’s “Hun Tun” at the MAMAC in Nice in 2008 was concurrent with the exhibition of one of the most eminent British representatives of this movement in contemporary art: Richard Long.
Time as a vortex
But this chaotic dilation of space that can be observed in the photographs of Éric Bourret is also that of time. The question of atemporality interests the photographer because, for him, the medium offers the opportunity to stop time and perceive the movement of things, the impermanence of nature, in a perpetual re-composition of a form that surpasses human temporality. It is not surprising to note that people are almost entirely absent from Éric Bourret’s photographs. As with Koudelka’s landscapes, they only appear as discreet silhouettes, tasked with giving a measure of the places while providing a subtle reminder that humanity is only passing through these wild and remote landscapes. This relationship to continuity and discontinuity, which is revealed in the repetitive, cyclical but always slightly different tempo of his inspiration/expiration as a photographer/walker, is also found in the work of Lewis Baltz, another photographer commissioned by the DATAR. Éric Bourret is interested in the conceptual radicality and the performative aspect of this American photographer and the way it links him to European land artists because the approach “does not modify the landscape through an intervention by the artist.”10 For DATAR, Baltz produced 21 black-and-white images that were shot in Fos-sur-Mer; these images were taken at a distance from the city and include details of vacant lots that suggest the presence of people, an element that was already present in his 1974 series “The New Industrial Parks near Irvine, California”. This collection of images participates in the quest for abstraction by creating a tension between the samples of individual details and the totality constructed by the installation; in this way, it supplants the notion of representation, the idea that the landscape should be depicted as it is. The absence of narrative dimension, this intentional atemporality, asserts itself as the temporal counterpart to the quest to render the motif abstract, and this manifests itself in Éric Bourret’s work through the deployment of time perceived as a continuous stop. To use a musical metaphor, it is as if it were a question of creating a tenuto photograph, a phenomenon that is evinced by the rhythm of the trunks photographed in the “Layering time” series; certainly, their verticality marks a pause in the gaze, but the trunks also become like strings that, from bottom to top, hold the vibration in perpetual movement and invite a non-linear reading of time. The temporal palimpsest created by this layering of “breathed” views of nature makes temporality appear in a tangible form. In this respect, Éric Bourret also likes to compare his temporal perception with that of the German artist Dieter Appelt, for whom photographic forms come into being through notions close to the vortex, the spatial projection of time, through which he seeks to render an endless time visible; it is this very notion that gave the title to a series by Appelt from 1992. Éric Bourret also tries to go beyond stasis to make the image active and revelatory of this temporal condensation and the process of metamorphosis conditioned by the recording devices. The elements – water, air, earth – that are so present in the prints of Éric Bourret are magnified by the swirling aspect of the images obtained by the rhythm of breathing. If, in the words of Julien Gracq, poetical writing is “a form of expression with a halo”, one could say that Éric Bourret’s photography is also endowed with a halo11, and that this arises from a successive irradiation from the center, the paragon of which is undoubtedly the series “Excuse me, while I kiss the sky” and its images of astral points emerging from nebulae. This series borrows its title from one of the lyrics from Jimi Hendrix’s Purple Haze, a song where the reverberation of the guitar also forms a kind of sound halo. The gaze will thus become lost in the landscape, immersed in it, yet this results in a glimpse of a more sensual experience of nature whose tremulous rendering asserts itself as a physical sensation.
A material emotion
In this sense, while it may seem evident that Éric Bourret is a direct descendent of some of the DATAR photographers we have just mentioned in terms of his desire to put the experience of the landscape at the heart of his practice, it should be noted that he goes further than his predecessors. First, where the DATAR photographers abandoned the vision of the picturesque landscape to experience it in a manner that led them to discover the multiple socio-political facets of a territory, Éric Bourret seeks to delve into the realm of nature to propose an essentialist photography. Moreover, by involving his entire body in his effort to get closer to nature, to such a point that the body’s movements and the asceticism of each breath set to the pace of his steps participate in the genesis of the images, Éric Bourret goes beyond the renewal of the genre’s aesthetic tradition to propose a genuine incorporation of nature into his images. The artist does not face nature as a naturalist would, but he places himself in medias res, in the heart of the landscape, which is reflected in the pulsating rendering of his images. The “primitivist”12 dimension of his work gradually propelled him beyond this idea of a visual experience of the landscape to develop an entirely sensory, even synesthetic, dimension. For him, to be in the presence of this mountain, this forest, this sky, or this sea, means much more than being in front of it; it means belonging to this landscape through the movement of the body, a movement that can capture the breadth of the place’s qualities. Thus, in the series “Dans la gueule de l’espace” [In the maw of space], the relationship between the artist and the mineral element is emphasized by the photographic act that allows a framing of the selected portion of the mountain that is similar to the act of touching. To learn to see a landscape while discarding the primacy of sight, and while freeing oneself from the “spectatorial attitude”13 denounced by Alain Corbin that keeps the landscape external and at a distance, is to restore this interrelation, this passage from the in visu to the in situ, that allows Éric Bourret to consider nature as a true Umwelt, a human environment, a “common being”14 that should be preserved, whether in France, China, Iceland, or the Azores, with the international character of his shooting locations more testimony to the universalizing capacity of his gaze. The exercise of shooting becomes a ritual that the photographer encourages us to share with him: the presentation of his large-format prints on matte paper, often with vanishing edges, so the motif is absorbed without being circumscribed, and always without protective glass so that the immersion into the image is total and induces the visitor to detect all of the micro-elements, allowing their gaze to “flutter”15 in this image within an image, even if it means occasionally being impeded by its rough, textured surface that, nonetheless, remains always permeable to the eye. When Éric Bourret’s gaze encounters a peak or a dense tangle of branches, his photography does not take note of an obstacle but rather reveals the potential to approach the limitless: this is what the images in the “Pangaea” series permit: the presence of lines that connect the path to a horizon that is most often out of frame. The movement of the breath that disturbs the image allows for a redistribution of the matter across the surface, creating a radiant materiality, “a baroque bubbling”16 to use the photographer’s own term. With his photography, Éric Bourret develops a form of “matter-emotion”, according to the eponymous title of Michel Collot’s book17, which asserts itself as a way of transposing the experience of the traversed landscape into the image. Opting for this materialist concentration of the gaze pushes him to elicit what we could call a photographic concretion, made of successive sedimentations that, frozen in the image, nonetheless distill the vision of an organic mutation.
Éric Bourret thus takes into account the evolutionary process of nature, and the title “Flux” that was selected for his exhibition in Marseille reflects these alterations in the temporal and spatial matter of his images. His reflections on the landscape, articulated more through nature than through territory, underscore the fact that the flux at work is attached to the transcription of an “original world” that was so dear to Gilles Deleuze18, one rich in possibilities where the forces of nature are constructed and deconstructed in a moving manner, aggregating and dissolving, passing, in the time it takes to go through the exhibition catalog, from a sea of ice to a sea of clouds.
Héloïse Conesa, 2021
1 Éric Bourret, interview with Héloïse Conésa, 28 May 2021
2 It should be noted that the series “Zéro, l’infini”, which is devoted to the Atlantic and the Mediterranean, presents the horizon line like a division between the ground and the sky while also suggesting its gradual dissolution as the water and air darken.
3 Éric Bourret, ibid.
4 Minor White to Grace Mayer, cited in Shape of Light: 100 Years of Photography and Abstract Art, London, Tate Modern, 2018, p. 68
5 Daniel Arasse in Le détail, Paris, Éditions Flammarion, “Champs”, 1996, p. 249
6 Mario Giacomelli, quoted for the exhibition “Mario Giacomelli, metamorphoses”, BnF, 2005
7 Paul Virilio, La machine de vision, Paris, Éditions Galilée, 1988, p. 46
8 Michel Collot, La Pensée-paysage, Arles, Éditions Actes Sud, 2011, p. 54
9 Arnold Berleant evoked the “participatory landscape” in his book Art and Engagement, Philadelphia, Temple University Press, 1991, p. 69
10 Éric Bourret, ibid.
11 Julien Gracq, Lettrines 2, Paris, Éditions José Corti, 1974, p. 81
12 Éric Bourret, ibid.
13 Alain Corbin, L’Homme dans le paysage, Paris, Éditions Textuel, 2001, p. 20-21
14 Augustin Berque, La Pensée paysagère, Paris, Éditions Archibooks, 2008
15 Éric Bourret, ibid.
16 Éric Bourret, ibid.
17 Michel Collot, La matière-émotion, Paris, Éditions PUF, 1997
18 Gilles Deleuze: “It is a pure background, or rather, a without-background, composed of unformed matter, sketches, or fragments”, Cinema 1: The Movement Image, London, Continuum, 1992, p. 123