Eric BOURRET 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Hun-Tun, 2005-2008
 
 
Où sommes-nous ? devant quel paysage ? devant quelle photographie ? Le premier contact avec les productions d’Éric Bourret est interrogatif. Difficile de le ranger dans un courant de la photographie. À voir l’ensemble de ses images, on peut certes penser à la sensuelle et vive densité des gris de Minor White, aux études de nuées d’Eadweard Muybridge, aux Équivalents nuageux et abstraits d’Alfred Stieglitz, ou encore aux photos tremblées de Didier Morin ou d’Hervé Rabot et aux chronophotographies d’Étienne-Jules Marey
 
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Expériences de paysages

« En deçà et au-delà du visible »

Où sommes-nous ? devant quel paysage ? devant quelle photographie ? Le premier contact avec les productions d’Éric Bourret est interrogatif. Difficile de le ranger dans un courant de la photographie. À voir l’ensemble de ses images, on peut certes penser à la sensuelle et vive densité des gris de Minor White, aux études de nuées d’Eadweard Muybridge, aux Équivalents nuageux et abstraits d’Alfred Stieglitz, ou encore aux photos tremblées de Didier Morin ou d’Hervé Rabot et aux chronophotographies d’Étienne-Jules Marey. Mais le rapprochement auquel s’amuse le spectateur un peu perdu des expositions est toujours frustrant, de l’à peu-près. La seule certitude qui émerge dans ce croisement atemporel des références, c’est la permanence des questionnements photographiques et l’originalité du regard proposé, un mélange de rigueur classique et d’exubérance lumineuse et dynamique presque baroque. Le classicisme, c’est celui de l’économie de moyens, celui du choix exclusif pour le noir et blanc, une gradation ou une opposition mesurée de gris profonds, c’est celui des formats carrés du 6 x 6 ou des formats panoramiques 6 x 17 pour des montagnes ou ceux, verticaux qui transforment les arbres pris en portraits en pied ou rapprochés. Les motifs présentés ici sont traditionnels : des montagnes arides et enneigées sous des lambeaux de ciel comme les Alpes des frères Bisson ou l’Himalaya de Vittorio Sella, et puis des falaises et de l’eau étrangement cadrées. Mais, il y a aussi le rythme ou plutôt les rythmes qui couvrent et embrassent tout, leurs accents, leurs accrocs et les fulgurances qui traversent l’espace de l’image ou éclatent en intensité vive. Et derrière ce rythme apparaissent le tremblé, le bougé du corps du photographe, les duplications qui représenteraient, d’après Éric Bourret, une manière d’être au monde, de sentir le monde et de s’y confronter. Rien là de la contemplation rêveuse des promeneurs solitaires. Pas non plus de promenade méditative et cultivée à la manière anglaise décrite par Baqué, ni d’happening agressif et violent, mais un entre-deux. Il s’agit, comme l’écrit Baqué, « d’intégrer l’acte photographique dans cet acte singulier qu’est la marche »i, mais ce faisant de se frotter aussi et surtout au monde, de sentir le poids de son corps, de son pas sans cesse reposé de marcheur, de voir et de signifier par le bougé du corps photographiant ou par les multiples surimpressions le flux de l’espace et du corps, leur confrontation, la scansion des pas et le mouvement de la perception tendue entre ce qui est déjà vu et ce qui le sera peut-être. Éric Bourret est un marcheur comme Richard Long ou Hamish Fulton, mais c’est un « marcheur photographe » qui frotte son corps à l’espace pour construire des paysages.
« Paysages » : en est-on si sûr, lorsqu’on regarde les photographies d’Éric Bourret ? Certains sont presque méconnaissables. Non à cause d’une action de l’artiste sur l’espace, comme le font les land-artistes avant de fixer sur la pellicule le résultat éphémère de leur action, mais plutôt en raison de son désir de représenter l’impact du lieu sur son corps de marcheur, sans les commentaires et les indices que peut ajouter Hamish Fulton. Ce projet existentiel d’inscrire « l’expérience physique et directe du monde » n’est pas un hapax dans le monde de la photographie contemporaine ; Poivert cite l’analyse de Christian Caujolle et les propos de Raymond Depardonii et Soulages présente le paysage comme « un corps à corps » en commentant l’œuvre d’Hervé Rabotiii. Mais, ce dessein demande une nouvelle image et, pour Éric Bourret, une image autosuffisante, dépourvue de l’ancrage linguistique barthésieniv. Aussi les titres des photographies sont-ils souvent absents des expositions et réduits à une indication de lieu et de date à la fin des catalogues. C’est donc au spectateur d’adopter un regard attentif et cultivé. Et c’est à la photographie de représenter la relation du sujet au monde ou le lien du photographe et du paysage, la tension continue de la perception et la scansion accentuée du pas. Et ceci grâce à une manière de photographier qui a pour effet paradoxal de gommer le lieu perçu et parcouru, de l’abstraire. Dans les photographies exposées à Nice, parfois, seul un petit morceau de falaise ou de cime montagneuse est identifiable, ressort au dessus du bouillonnement et de la confusion générale.
[insérer Aran2 Irlande 2000] et [Aran Irlande 2000]

[insérer Assouan, Egypte, 1996] et [Egypte, 1996-2706] et [Egypte, 1996-2747]
Cadrage, angle de vue, calcul au tirage des densités de gris, exaltation des intensités lumineuses, du noir profond qui fait éclater le gris clair de ces premières photographies : tout concourt à nous perdre, à déconstruire notre perception des photos pour signifier, comme l’écrit A. Rouillé, que celles-ci sont à la fois empreintes de choses, produits de dispositifs et effets esthétiques de processus photographiquesvi. Et en même temps, cette « empreinte-produit » nous interroge sur « le visible »vii, non seulement sur la nature et la réalité du photographié mais aussi, comme l’ont fait les sculpteurs et les peintres cubistes, sur la représentation en profondeur de l’espace dynamité par l’extension et l’intensité des volumes, des plans et des contrastes colorés. Nous voilà face à des paysages plus ou moins étranges, tendus autour d’un plan qui fait face et toujours déroutants. D’autant plus que l’espace paraît non seulement inhabitable pour notre regard et nos pas, mais qu’il est aussi inhabité, sans homme et sans animal.
[insérer buddha5728-9bis ] et [buddha5742-11]
[Les Monges. Alpes hte Provence 98]
et [Sainte-Baume2005-2mai]
De la texture matiériste du monde à la suggestion du temps et des forces invisibles de la morphogenèse, il y a comme un cheminement entendu. Mais, la puissance poétique de ces images tient aussi et surtout à leur manière de moduler le visible et de montrer, suivant l’expression merleau-pontienne, « l’entrelacs de l’invisible et du visible »viii. « Marches » égyptiennes qui mènent on ne sait où ; sombre « ouverture » dans le sol ; ombres rehaussées qui bouchent l’image et la vue, qui dessinent des formes géométriques fortes qui gomment la falaise ou visage décomposé d’un bouddha flou s’estompant dans le fond : le cadrage et le jeu du noir et blanc permettent presque naturellement de moduler les vides et les apparitions-disparitions. Ailleurs, au Venezuela, une feuille de fougère sur sa branche apparaît et disparaît. Mangée par les ombres et le fond sombre, elle retient le regard sur l’extrême ténuité de ses formes, sur les accents lumineux qui la composent et sur la contingence de sa visibilité. Au spectateur, il revient alors de se laisser captiver par la fragile petitesse des formes et la puissance des éclats lumineux ou de donner libre cours à son imagination de sujet fasciné et rêveur devant la profondeur du noir environnant. Espace, vide et mystère, écoulement du temps et relativité des choses : ce sont là aussi les ingrédients de « l’étendue rêveuse » ou du « genius loci » que Lemagny décelait dans les « structures formelles du réel » saisies par Edward Weston, les Beaches d’Harry Callahan ou dans les images-traces ou souvenirs des pays déjà parcourus d’Hamish Fultonix.
[insérer Venezuela2004]

Toutes ces questions posées au temps, au devenir, à l’apparition, au paysage et à la présence humaine mais autrement posées dans la profusion lumineuse des lignes et des masses qui succèdent à la rigueur un peu austère et sombre des premières images. À parcourir les reproductions qui suivent, on le constate aisément : toujours pas de lieux habités ou d’espaces habitables. Malgré l’utilisation de la chambre ou d’appareils panoramiques et de la photographie argentique, on est aussi éloigné de la photographie « neutre » et géométrisante de l’École de Düsseldorf initiée par Berndt et Hilla Becher que de la photographie aérienne esthétique de Yann-Arthus Bertrand. Ici, la photographie s’est faite encore plus énigmatique qu’elle ne l’était auparavant dans l’œuvre d’Éric Bourret. L’image est frontale, un espace plastique, parfois ou par endroit abstrait, informel, un espace brouillé, dé-texturé et illisible. Mais, on y perdrait beaucoup à oublier qu’il s’agit encore de paysage, d’une manière de faire-voir ou de dessiner des paysages comme si le photographe les avait réalisés avec une plume, un pinceau d’encre noire ou de peinture blanche, le charbon noir d’un fusain ou des masses boursouflées de goudron. L’exposition niçoise est, à l’image du mot chinois signifiant « paysage », composée de montagne et d’eau, mais ici les montagnes sont graphiques et l’eau est goudronneuse. Et la forme des traits, des masses, contrastes de noir et blanc évoquent autant l’art photographique que la manière picturale.
Montagne et eau apparaissent en effet presque méconnaissables, inédits. Rien à voir avec les images ordinaires, lisses, spontanément visibles et lisibles, des agences de tourisme. La technique de prise de vue a modifié l’aspect que nous prêtons habituellement aux photographies et au monde. Et elle a résolu en partie, du point de vue de l’artiste, la question de l’inscription du temps, du devenir dans l’image. Il ne s’agit plus ici de mettre en valeur par le cadrage et le calcul des densités de gris les textures des sols, des pierres et des arbres pour signifier l’idée de temps, mais d’inscrire à même l’image l’expression spatiale du temps, sa dynamique ou, dans les termes de Bachelard, « le rythme et les ondulations de la matière » et « de l’esprit »x. Cette représentation du rythme et du temps, c’est celle du mouvement. Et pour cette inscription, Éric Bourret revisite d’anciennes pratiques, fait varier ses techniques de prise de vue et profite de la puissance dynamique des grands formats et des polyptyques.
[Diptyque : Ecrins 2005]

Comment inscrire sur l’espace fixe d’une feuille de papier le mouvement ? La question est celle des peintres futuristes qui, comme Giacomo Balla, démultiplient les gestes et les objets qu’ils réunissent par des traits dynamiques, exploitant ainsi les ressources positionnelles du discontinu et celles synthétiques de la liaison et du réseau. En photographie, il y a le flou habituel, celui qui étire l’instant photographique pour laisser apparaître la traîne du bougé, celui utilisé par Didier Morin pour ses photographies des Menhirs de Carnac. Et comme chez ce photographe, le flou des photographies d’Éric Bourret n’est pas celui du motif mouvant dont on capturerait la trajectoire par une trace continue, mais celui du corps photographiant qui vibre naturellement, l’appareil enregistrant tenu à bout de bras. Ces flous de montagne, gênent le regard du spectateur bien autrement et plus fondamentalement que ne le faisaient les images dépourvues d’échelle, de point de vue ou contradictoires prises en Égypte ou en Irlande. Comment regarder du flou, ses traînées lumineuses parfois légèrement cernées, alors que la bonne perception, la bonne vue que l’on nous donne généralement du monde est nette ? du flou pour des objets mobiles, des corps bougeant, de l’eau, certes ; mais ici la reconnaissance des motifs montagneux rend le spectacle plus étonnant encore et renvoie à coup sûr à l’acte photographique, au corps photographiant, au sujet et à la vibration de son corps. Voilà donc l’homme indexé à la photographie ou plutôt l’inscription indicielle d’un corps vibrant, d’une expérience subjective du monde qui contredit les caractères de la photographie objective et neutre. De chaque côté de ces photographies carrées, sans figure d’homme, sont désignés et malmenés le regard du spectateur voyeur et le corps du photographe voyant.
[Triptyque : Cap Sicié, Var, Janvier 2005]

Une autre manière d’indiquer le mouvement est de le décomposer, de l’analyser par une série d’instantanés dont la succession peut donner l’idée du mouvement grâce au repérage cohérent de la trajectoire de points précis. Un peu à la manière des photogrammes de la pellicule du cinéma ou des chronophotographies d’Étienne-Jules Marey analysés récemment par Didi-Hubermanxi. Cette inscription fragmentée du mouvement, Éric Bourret l’exploite dans ses polyptyques d’eau. Mais, l’effet produit est surprenant. Reconnaît-on de l’eau sous cette apparence de masse dense, épaisse, granuleuse et lumineuse ? Dans les limites carrées de chaque photographie, rien n’évoque la fluidité, le mouvement et la liquidité de l’eau. Les noirs profonds, les gris sourds et les éclats lumineux semblent plutôt l’effet de la réflexion de la lumière sur une matière non translucide, sombre et dense, irrégulière et goudronneuse. En somme une masse visqueuse ou pâteuse, amorphe qui se serait solidifiée. Où est l’eau de nos images ? Dans l’ensemble discontinu des diptyques et des triptyques, comment repérer des formes redondantes qui, dans les images contiguës, se seraient déplacées alors que tout semble également sans forme, indistinct ? Il faut une photographie plus complexe et le suivi du regard à travers les images pour qu’émerge une forme indéfinissable de dynamisme. Qu’en est-il ainsi du diptyque pris à la Presqu’île de Giens en Mars 2005xii ? Le point de vue du photographe était fixe, les photos ont été saisies à deux secondes d’intervalle, le temps nécessaire pour réarmer l’appareil et pendant lequel l’eau s’est déplacée. Et pourtant à suivre ces photographies du bouillonnement de l’eau, on peut saisir comme un une correspondance entre les côtés gauche et droit des photographies contiguës, comme si le photographe avait découpé son image ou légèrement déplacé son œil pour composer un faux panoramique sur une zone immobile.
Intervalle temporel ou intervalle spatial : on s’y perd. Pour celui qui voudrait néanmoins composer sa lecture en retenant la proposition de représenter « le tout est en devenir » du monde et la technique du photographe, l’effet dynamique est ambivalent et la gageure du projet évidente. Comment et pourquoi rendre le mouvement, l’impression de l’écoulement du temps, avec une technique réputée pour ses instantanés ? Or, « il n’y a jamais pour nous d’instantanés »xiii et le temps vécu n’en est pas composé. Bergson a souligné les défauts de ce temps conçu par « l’intelligence qui se borne à prendre de loin en loin sur le devenir de la matière, des vues instantanées et par là-même immobiles […] l’illusion [consistant] à croire qu’on pourra penser l’instable par l’intermédiaire du stable, et le mouvant par l’immobile »xiv. En passant avec attention d’une image d’eau à l’autre, c’est en effet davantage l’impression d’une métamorphose brutale qui prévaut que celle d’une transformation en continu, l’intuition d’une suite d’états plutôt que l’inscription d’un intervalle où l’instant serait tiraillé entre passé et futur. La composition de grands polyptyques carrés n’induit pas davantage le mouvement et la continuité du devenir. Elle semble même renforcer par sa succession et l’excédent de sa quantité l’aspect monumental et statique que prennent ces hectares d’eau photographiée. Plus que dans les chronophotographies de Jules-Étienne Marey ou d’Eadweard Muybridge, c’est donc l’impression de fixité, de statisme, de coagulation et d’empâtements pesants qui domine ici, comme dans les œuvres matiéristes et informelles d’un Jean Fautrier ou d’un Alberto Burri. Seuls les éclats plus lumineux des gris rehaussés par le noir signifient une autre forme de dynamisme, celui plus ténu de la réflexion de la lumière sur une matière dense comme sur les noirs acryliques ou les premiers goudrons (1947) de Pierre Soulages.
Si l’eau est goudron, forme à l’apparence figée et lourde sur le papier, la montagne apparaît paradoxalement fluide, éclaboussure ou diffraction lumineuse, transparence et décomposition. Les panoramiques montagneux exposés à Nice sont récents, composés entre 2005 et 2008 dans les Alpes et au Népal. Développés à partir des polyptyques des Montagnes au carré ils sont assez longs pour entraîner le spectateur, l’obliger à parcourir avec ses pas, avec son œil, l’étendue toujours dynamique et dynamisée de l’image. Brouillés comme les montagnes carrées, ils le sont différemment, appellent le regard de près, là où les montagnes floues exigeaient le recul pour être vues. La technique est différente, un mixte des pratiques antérieures qui rassemble l’unicité du support et la multiplicité des prises. Il s’agit en effet de superposer une suite d’instantanés dont le nombre varie inversement à la complexité du motif. Sur la même surface sont superposées six ou neuf prises du même espace, comme dans les chronophotographies sur plaque unique où Marey capturait le vol des goélands, le galop des chevaux. Mais ici encore l’objet photographié est immobile et les six ou neuf vues légèrement décalées le sont seulement à cause de la vibration naturelle du corps.
Le décalage temporel de quelques secondes entre les prises importe peu : le projet n’est pas celui scientifique et calibré d’Étienne-Jules Marey en quête, d’après Georges Didi-Huberman, d’un temps conçu comme « arithmos kineseôs »xv. Le moment de la prise n’a pas plus d’importance. Avec l’immobilité du photographié, « l’instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson est ici dépourvu de valeur. Le moment de la prise se rapproche davantage du « temps faible » de Raymond Depardonxvi ou de celui défini par Dominique Baqué, au sujet de la photographie contemporaine des traces et des vestiges, comme « neutre, quelconque, un moment gris qui ne s’exhausse jamais à la plénitude du sens »xvii. La prise multiple ne semble pas non plus travaillée par le désir de revenir sur « l’irréversible obtention du négatif photographique » théorisée par François Soulagesxviii. Tout au plus permet-elle, dit le photographe, de « multiplier les possibles ». Cette nouvelle inscription du mouvement, est-elle plus proche du temps vécu bergsonien que de sa construction intellectuelle ? Georges Didi-Huberman souligne la valeur temporelle de la chronophotographie sur plaque unique de Marey, en la définissant comme l’« image d’un mouvement avec sa traîne » qui fait intervalle, transitionxix. Ici aussi, les traces lumineuses dupliquées ont une traîne, légère, beaucoup plus subtile que celle des montagnes floues qui étaient prises au carré, une traîne orientée dans l’espace de l’image. Et cette orientation, ces traces induisent plus sûrement le mouvement que la succession de la série de l’eau : un mouvement du corps photographiant dans l’espace. Mais, d’après Éric Bourret, si son désir était de rendre la pulsation du monde en devenir et celle réactive de son corps, le résultat peut apparaître déroutant. « Mettre du temps sur du temps aurait pour effet de nier le temps », celui continu de la durée et celui de l’instant et de sa ponctualité.
Cette technique de la surimpression présente, dit le photographe, un autre intérêt. Il lui faut assumer le défaut de maîtrise d’une telle entreprise : le cadrage est instinctif, l’ouverture du diaphragme estimée pour les surimpressions, mais le résultat des prises n’est visible et constaté qu’ensuite, lors du développement dans le laboratoire – bien loin des montagnes enneigées. Il s’agit donc d’introduire de l’aléatoire ou du moins d’en assumer clairement l’impact, comme le revendiquent plusieurs photographesxx, tout en s’imposant, comme dans toute entreprise créative, des règles précises sur le nombre de prises, sur l’équilibre des tons. Dans sa démarche, Éric Bourret réunit ainsi des problématiques contemporaines : il souligne sa présence d’auteur de photographies, en montrant que le monde perçu et saisi l’est pour et au bout d’un corps sensible et vibrant, et dans le même temps il accepte sciemment de se dessaisir de la maîtrise impossible de l’image, en ménageant une place à l’aléatoire, à la surprise.
Surprenantes, les images le sont en effet. Elles le sont, parce que la même technique donne des images totalement différentes. Plus ou moins abstraites. Plus ou moins brouillées. Dotées de rythmes plastiques et de tonalités très différents. Dans certaines photographies, comme celles en format carré de montagnes et glaciers alpins, on ne reconnaît absolument rien et l’indication du lieu est inutile. Alors, ce sont les qualités plastiques et rythmiques complexes des images qui sautent aux yeux et l’imagination, les correspondances plastiques et les rapprochements figuratifs modalisent davantage la perception. Invisible et illisible, le glacier de Khumbu (2005) est ainsi mâchoire, forme puissante et acérée au centre, entre les triangles dupliquées des montagnes. Rien à voir avec le crépitement délicat des pentes du Queyras (2005) sous les ombres transparentes des cimes et l’écheveau lumineux d’un nuage.
Les impressions multiples ont déréalisé les choses, les montagnes et les falaises, les glaciers comme les névés, l’eau et les nuées. Elles les ont brouillés sous la profusion des traits, des formes, les ont gommés par transparence, par superposition. De la montagne, il ne reste parfois plus aucune matière fixe, tangible, mais des éclaboussures et parfois, dans un coin de l’image, sur un fond de ciel uni, une cime de gris éteints. Alors, on peut être attentif aux couches pellucides des impressions et considérer la réalité pelliculaire et légère de la photographie. On peut aussi retenir son regard sur des bouts émergeants de montagne en forme d’ombres chinoises. Des apparitions un peu fantomatiques, comme les flous de Charles Nègre ou « les accidents photographiques à la spectralité récurrente des images "bougées" si proches de l’optique fantasmagorique du XIXe siècle » évoqués par Georges Didi-Hubermanxxi. Cependant, l’effet est ici contradictoire. Si les formes sont parfois discrètes et d’autant plus fantomatiques, comme à La Grave (Ecrins, 2007), elles donnent néanmoins la mesure du site photographié et en l’occurrence, l’impression de l’immensité du paysage. Vertige. Dans le petit coin d’une image, une falaise apparaît et sa forme évoque l’ampleur de l’espace brouillé qui l’environne.
Comme dans ses premières images, Éric Bourret revisite ainsi le visible et le regard photographiques. Mais alors qu’il prélevait du visible en maniant le vide et les apparitions ténues, l’infime et le sombre, l’insolite et déroutante identification des choses à la fois reproduites et construites, il a choisi la duplication et le relèvement lumineux, la profusion et l’informel qui obligent à varier son regard. Comment voir ? Que voir ? Que chercher ?un bout de paysage, un jeu plastique sur la densité des gris et des rythmes, l’inscription presque phénoménologique d’une relation entre le visible et le voyant, la matière fine et pellucide de la pellicule photographique ou l’expression d’un monde devenu confusément et pourtant uniquement le champ de phénomènes lumineux et rythmiques ? Dans ce monde, les objets ont perdu leurs valeurs, l’aspect qui fonde leur identité liquide ou solide. Quelle différence entre la Presqu’île de Giens (2007) et les Ecrins (2007) présentés en vis-à-vis ? À regarder et tenter de lire ces images de rythme et de lumière, on peut penser à ce qu’a écrit Gaston Bachelard sur le caractère rythmique et ondulatoire de la matière ou Michel Collot sur la matière-émotion qui n’est « pas une masse inerte, amorphe, mais animée d’une énergie qui la fait s’épanouir ».xxii Sous les soubresauts du corps photographiant, confusion des matières liquides, gazeuses et minérales ; Éric Bourret semble dire : « les nuages, les névés, les glaciers, la montagne et l’eau sont des passages, des états transitoires, des formes émergentes du chaos »

Marie Renoue, 2008

 

Experiences of landscapes

« Before and beyond the visible »

Where are we, before what landscape, before what photograph? A first contact with Eric Bourret's productions is interrogative. Difficult to assimilate them to any given category of photography. Looking at these images as a whole, one might naturally think of the sensual, vivid density of Minor White's greys, Eadweard Muybridge's studies of clouds, Alfred Stieglitz's cloudy, abstract Equivalents, the tremulous photographs of Didier Morin or Hervé Rabot, or again Etienne-Jules Marey's chronophotographs. But any similarities that the somewhat disorientated viewer may toy with are doomed to be frustrating and approximate. The only certainty that emerges, in this atemporal criss-crossing of references, is the permanence of the photographic questionings, and the originality of the proposed viewpoint – a blending of classical rigour and luminous, dynamic, quasi-baroque exuberance. The classicism involves an economy of means, with the exclusive use of black-and-white, a gradation or a measured opposition of deep greys, formats that are square (6 x 6), panoramic (6 x 17) for mountains, or vertical for full-length or close-up portraits of trees. The motifs are traditional: arid, snow-capped mountains under strands of sky, like the Bisson brothers' Alps or Vittorio Sella's Himalayas, along with cliffs and water, strangely framed. But there is also the rhythm, or rather the rhythms, that cover and inflame, with accents, snaggings and fulgurances that traverse the space of the image, or burst forth into living intensity. And behind these rhythms there is the quivering, the movement of the photographer's body, the duplications which, according to Bourret, represent a way of occupying, feeling, confronting the world. One does not find the dreamy contemplation of the solitary stroller, or any meditative, cultivated peregrination, after the English fashion, as described by Dominique Baqué. Nor is there any aggressive, violent “happening”, but rather something in between. Baqué talks about “integrating the photographic act into the singular act of walking”1, but at the same time, and in particular, connecting with the world, feeling the mass of the walker's body and constantly re-grounded feet; seeing and signifying, in the movement of the photographing body, or in multiple overprintings, the flow of space and body, their encounter, the cadence of steps and the movement of perception stretched taut between what is already seen and what, perhaps, will be seen. Eric Bourret is a walker, like Richard Long or Hamish Fulton, but he is a “photographic walker” who projects his body into space to construct landscapes.

“Landscapes”. Can we really be so sure, when we look at Bourret's photographs? Some of those are almost unrecognisable – not because the artist acts on space (as land artists do) before imprinting the ephemeral result of his action on the surface of the film, but rather on account of his desire to represent the impact of places on his body, as a walker, without the kind of commentary or information that someone like Hamish Fulton might add. This existential project of pinning down “the physical, direct experience of the world” is not a one-off, in the world of contemporary photography: Michel Poivert cites Christian Caujolle's analysis and Raymond Depardon's views2; and François Soulages, in his discussion of Hervé Rabot's work, presents the landscape as a “hand to hand”3. But still, this design requires a new type of image, and for Bourret the image in question should be self-sufficient, free of any Barthesian linguistic anchoring4. Thus titles are often absent from his exhibitions; only references to dates and places are given, in the appendices of the catalogues. It is for the viewer to adopt an attentive, cultivated stance. And it is for the photograph to represent the relationship of the subject to the world, or the relationship of the photographer to the landscape, the continual tension of perception, and the scansion, whether accentuated or not, of the gait, thanks to a way of taking photographs whose paradoxical effect is to blur the perceived, traversed location, and to abstract it out. In some of the photographs exhibited in Nice, only a small fragment of cliff or mountain crag is identifiable, emerging from the ebullition and general confusion.

In Eric Bourret's first photographs – those that are most legible, clear, “paused” – the objective was not fusion through photographic infilling and fogging, as in the panoramics, but visibility, as a vehicle for misdirections and disarray. Without points of reference or scale, without cohesion or coherence, these first landscapes disrupted our perception and knowledge of the world as seen in images. Bourret said of them that he was “having fun corrupting the idea of reality”5. And so – no open window, no three-dimensional space in which one might give the same freedom to one's eyes as one would give to one's feet. The space is frontal or contradictory. The viewer has difficulty recognising himself there, and does not venture inside, even in the case of the Aswan architecture seen in October 1996. As in Maurice Pillet or Francis Frith's first photographs of archaeological sites, now faded, the space is above all an uninhabitable image. This is not due to a dimming of the contrasts over time, but rather to an intensification of values interfering with the interpretation of planes and depth. One may recognise the space of the Aswan temple, but the blackness of the columns in the foreground shrinks back into emptiness, bringing out the brightness of the wall in the background, which in the end contradicts all perception. Elsewhere, the close or uncertain framing undermines the identification of things that are nonetheless clear and visible. The Irish landscapes photographed in 2000 also vacillate before our eyes under the effects of the rising water and the determination of geometrical forms, shapes and shafts of light pervaded by blackness.
Framing, viewing angle, calculation of the densities of the greys, for the printing process, exaltation of the brightness, the deep black that makes the light grey of these first photographs shine out: everything conspires in our ruin, and in the deconstruction of our perception of the photos, thereby implying, as André Rouillé has written, that they are at the same time imprints of things, products of structures and aesthetic effects of photographic processes6. And at the same time, this form of “imprint-product” interrogates us about “the visible”7 – not only the nature and reality of that which is photographed, but also, following sculpture and Cubist painting, the in-depth representation of space dynamited by the extension and intensity of volumes, planes and colour contrasts. This places us face to face with landscapes that are more or less strange, stretching out around an opposing plane, and always disorientating; all the more so as the space appears not only uninhabitable by our eyes or our feet, but also uninhabited, as such, by man or animal.

Whatever Eric Bourret's photographs may be, they are always empty of man. They have no physical imprinting on the basis of which to get one's bearings, or a measure of the world, as in the first photographs taken by archaeologists. Nor does any animal presence signify a possible displacement or an occupiable profundity that would make the space a place to move around in, or through. And if the space is not that of man, neither is the time. There are, admittedly, traces of past action, with the walls, columns and cut stones of archaeological sites, or the immobile figures of Buddhas and Apsaras who, nearby and sometimes vague, smile and fade into the background. But the sand, the erosion and the fissures signify time spent without man; irreversible time. And yet, looking at these archaeological sites, what prevails is not a nostalgic impression, a painful desire to get back to terra firma, or to the perfection of forms, but an observation: time passes over architecture and immobile objects, incommensurable with human existence. It goes beyond man. And there may also be a hint of time in the clearly-delineated photographs of the folded, granitic mountains, the hard, uneven surface of cliffs and the rough, striped bark of trees. But it is a geological, vegetational version of time – that of forces which have fashioned terrestrial forms, and whose power of action can be discerned in the inflections of its mineral and vegetable substance. Outside the limits of humanness, what is represented by these photographs is the imperturbable time of emergences, the flow and fluence of forms and things; a time of everything becoming, everything streaming; that of the “panta rhei”.

From the material texture of the world to the suggestion of the invisible time and forces of morphogenesis, there is, as it were, an implicit pathway. But the poetic power of these images also, and in particular, has to do with their way of modulating the visible, and of showing, in Merleau-Ponty's expression, “the intertwining of the invisible and the visible”8. Egyptian “steps” that lead – who knows where? A dark “opening” in the ground; sharply-etched shadows that obstruct the image and the view, outlining strong geometrical forms that obscure the cliff, or the decomposed face of a blurred Buddha fading into the background. The framing and play of black and white make it possible, almost naturally, to modulate the voids and the appearances-disappearances. Elsewhere, in Venezuela, a fern leaf on its stalk appears and disappears. Devoured by the shadows and the dark background, it holds the eye with the extreme tenuousness of its forms, the highlighted accents of which it is comprised, and the contingency of its visibility. The viewer can allow himself to be captivated by the fragile smallness of the forms, and the power of the flashes of light, or give free rein to his imagination as a fascinated, daydreaming subject gazing at the profundity of the surrounding blackness. Space, emptiness and mystery, the passage of time and the relativity of things: these too are ingredients in the “dreamy expanse” or the “genius loci” that Jean-Claude Lemagny sees in the “formal structures of the real”, as apprehended by Edward Weston, Harry Callahan and his Beaches, or the trace-images and memories of countries already visited by Hamish Fulton9.

All these questions put to time, to emergence, to appearance, to landscape and the human presence are al – but otherwise, in the luminous profusion of the lines and masses that succeed the slightly austere, dark rigour of the first images. In the reproductions that follow, one immediately sees that there are still no inhabited places, or inhabitable spaces. Despite the use of the camera obscura or the panoramic camera and the gelatin-silver print, this is as far removed from the Düsseldorf school's “neutral”, geometricising photography initiated by Berndt and Hilla Becher as from Yann Arthus-Bertrand's aesthetic aerial photography. Here, photography has made itself still more enigmatic than it previously was in Eric Bourret's own work. The image is frontal, with space that is sometimes, or in some places, abstract, informal; space that is misty, de-textured, illegible. But it would be self-defeating to overlook the fact that we are still talking about landscapes, and a way to “make seeable” or draw landscapes, as though the photographer had created them with a pen, a brush and black ink or white paint, charcoal or bloated masses of tar. Bourret's exhibition, like the Chinese word for “landscape”, contains mountains and water, except that in his case the mountains are graphic, and the water is tarry. The form of the lines, the masses, the contrasts of black and white speak of photographic as much as pictorial art.

Mountain and water appear, in effect, almost unrecognisable; unknown; nothing like the ordinary, smoothed-out images – spontaneously visible and legible – of the tourist agencies. The image-capturing technique has modified the appearance we generally expect photographs, and the world, to have. And from the artist's point of view it has at least partly resolved the question of integrating time, and emerging existence, into the image. This has not involved emphasising the texture of ground, stones and trees through framing and the calculation of grey densities, in order to express the idea of time, but rather incorporating into the image a spatial expression of time and its dynamics, or, in Gaston Bachelard's words, “the rhythm and undulations of matter”, and “of mind”10. The representation of rhythm and time is that of movement. And Bourret revisits time-honoured practices, varying his techniques and using the dynamic power of large formats and polyptychs.

How is movement to be transferred onto a fixed area such as a sheet of paper? The question was mulled over by Futurist painters such as Giacomo Balla, who multiplied the gestures and objects that they brought together with dynamic lines, utilising the positional resources of discontinuity and the synthetic resources of nodes and networks. In photography, there is the habitual fuzziness that stretches out the photographic instant to show the wake created by movement, as in Didier Morin's photographs of menhirs in Carnac. And the fuzziness in Eric Bourret's photographs is not that of moving motifs whose trajectories are captured in continuous traces, but that of a photographing body that vibrates naturally, with the recording apparatus held at arm's length. These mountain hazes disturb us in a different and more fundamental way than the scale-less, viewpoint-less, consistency-less images taken in Egypt and Ireland. How are we to look at this vagueness, with its luminous trails – sometimes slightly haloed – when the perceptions, the viewpoints of the world that we are generally given are so clear-cut? Fuzziness in mobile objects, moving bodies, water, is all very well, but the recognition of mountain motifs makes the scene still more surprising, and inevitably invokes the photographic act, the photographing body, the subject and the vibration of its corporality. Thus is man indexed to photography, or rather the indicial inscription of a vibrating body, a subjective experience of the world that contradicts the characteristics of objective, neutral photography. On each side of these square photographs, without human figures, the eye of the voyeur-viewer and the body of the seer-photographer are indicated and subjected to some rough treatment.

Another way of representing movement is to break it down, to analyse it in a series of shots whose succession can provide an idea of it through a coherent localisation of a trajectory of precise points, somewhat like film stock “photogrammes”, or Etienne-Jules Marey's chronophotographs, recently analysed by Georges Didi-Huberman11. And Eric Bourret uses this fragmented view of movement in his polyptychs of water. But the effect is surprising. Can water be recognised as a dense, thick, granular, luminous mass? Within the square borders of each photograph, there is nothing that denotes the fluidity, movement or liquidity of water. The deep blacks, muted greys and dazzling flashes seem, rather, to be effects of light reflected on a non-translucent, dark, dense, irregular, tarry form of matter; in sum, a viscous, pasty, amorphous mass that has solidified. Where is the water, in these images? In the discontinuous set of diptychs and triptychs, how is one to pick out redundant forms which, in contiguous images, have been displaced, whereas everything seems formless and indistinct? A more complex approach to photography is required, and a continuity of perception through sequential images, if an undefinable form of dynamism is to emerge. But what, then, of the diptych created at La Presqu'île de Giens in March 2005?12 The photographer's viewpoint was fixed, and the photographs were taken at two-second intervals, i.e. the time necessary to re-set the apparatus, during which the appearance of the water changed. Nonetheless, if one follows these photographs of foaming water, one finds something like connections between the right-hand and left-hand edges of contiguous photographs, as if the photographer had cut out the images, or slightly displaced his eye so as to compose a false panorama in a static zone.

Temporal interval or spatial interval: it is easy to get confused. For anyone who wants to posit an interpretation, while holding to the proposal of representing the “everything is in becoming” of the world, and the photographer's technique, the dynamic effect is ambivalent, and the wager obvious. How and why are movement and the impression of the passage of time to be rendered through a technique that is supposed to be used for taking snapshots? The fact is that “for us, there are no snapshots”13, and lived time is not composite. H. Bergson emphasised the shortcomings of time as conceived by “intelligence that limits itself to periodically composing instantaneous, and thus immobile, views […] the illusion [consists] of believing that the unstable can be thought about on the basis of the stable, and the mobile on the basis of the immobile”14. Passing attentively from one image of water to another, the impression is of something like a sudden metamorphosis rather than a continuous transformation, a presentiment of a sequence of states rather than an identification of an interval in which the instant is torn between past and future. Nor does the composition of the large square polyptychs induce any more movement or continuity of emergence. It actually seems to reinforce, in its succession and its quantitative excess, the monumental, static aspect of these hectares of photographed water. More than in the chronophotographs of Jules-Etienne Marey or Eadweard Muybridge, what dominates is an impression of fixity, stasis, coagulation and layerings, as in the matter-based, informal works of a Jean Fautrier or an Alberto Burri. Only the more brilliant gleams of the greys, as brought out by the black, denote another form of dynamism. But it is a more tenuous form – that of light reflected on dense material, as in Pierre Soulages' black acrylics, or his first tar works (1947).

If water is tar – a form that appears heavy, stuck to the paper – mountains may seem paradoxically fluid: a splash or a luminous diffraction, transparency or decomposition. The mountain panoramas exhibited in Nice were produced between 2005 and 2008 in the Alps and Nepal. Based on the Montagnes au carré polyptychs, they are long enough to lead the viewer on and force him to follow, with foot and eye, the ever dynamic, and dynamised, extension of the image. They are hazy, like the squared mountains, but in a different way; and they need to be seen at close range, where the mountains need distance. The technique is different, too – a mixture of previous practices, combining the unity of the medium with the multiplicity of the images. The point is, in fact, to superimpose a series of shots whose number varies inversely with the complexity of the motif. Six or nine images of the same space are superimposed on the surface, as in Marey's single-plate chronophotographs which captured seagulls in flight and horses galloping. But here too the photographed object is immobile, and if the six or nine views are slightly out of phase, this is only because of the natural “vibration” of the body.

The lag of two seconds between the images is unimportant: this is not a scientific, calibrated project, like that of Marey, who in G. Didi-Huberman's view was looking at time as “arithmos kineseôs”15. The image-capture instant is of no significance as such. Here, with the immobility of the photographed object, Henri Cartier-Bresson's “decisive instant” is shorn of its value. In fact it is more akin to Raymond Depardon's “weak time”16, or what D. Baqué, with regard to the contemporary photography of traces and vestiges, defines as “neutral, nondescript, a grey moment that never attains the plenitude of sense”17. Nor does the multiple image seem suffused by a desire to disown “the irreversible obtention of the photographic negative”, as theorised by F. Soulages18. For Eric Bourret it provides, at most, a way of “multiplying the possibles”. Is this new treatment of movement closer to Bergson's lived time than to its intellectual construction? G. Didi-Huberman emphasises the temporal value of Marey's single-plate chronophotography, defining it as “the image of a movement, with its wake”, which produces an interval, a transition19. Here too, the duplicated luminous traces have a faint aftertrail which is much more subtle than that of the square, hazy mountains, and is orientated in the image space. This orientation, these traces imply movement more clearly than the succession of the “water” series – movement of the photographing body in space. But Eric Bourret feels that although his ambition was to bring out the pulsation of the emerging world, and the reactive pulsation of his body, the result may appear enigmatic, “as though the effect of placing time on time were to deny time” – the continuous time of duration, but also that of the instant and its individuality.

And yet, as the photographer himself says, there is another point to this overprinting technique. He has to take on board the lack of control that is inherent in any such enterprise. The framing is instinctive, and the opening of the diaphragm depends on the overprinting procedure itself, but the result is visible and observable only after the completion of the development process, far from the snow-covered mountains. It is a question of introducing randomness, or at least clearly accepting its effect, like a number of other photographers20, while at the same time, as in any creative activity, imposing precise rules about the number of images produced, and the tone balance. Bourret amalgamates contemporary problematics: he insists on his presence as an author of photographs, showing that the perceived, apprehended world is so for the sake of, and at the extremity of, a sensitive, vibrant body, while at the same time allowing himself to be deprived of impossible control over the image, and leaving room for the unexpected, and for surprise.

These images are, in effect, surprising, because the same technique gives rise to totally different effects. More or less abstract. More or less hazy. With very different formal rhythms and tones. In some of them, like those of mountains and Alpine glaciers, in square format, absolutely nothing is recognisable, and any reference to location is pointless. It is the complex formal and rhythmic qualities of the images that are obvious to the eye and the imagination, while the formal correspondences and figurative similarities do more to modalise perception. Invisible and unscrutable, the Khumbu glacier (2005) is a mandible – a powerful, steely form in the centre of the picture, between the duplicated triangles of the mountains. Nothing in common with the delicate rustling of the Queyras slopes (2005), under the transparent shadows of the peaks, and the luminous skein of a cloud.

Multiple impressions render things unreal: mountains and cliffs, glaciers and firn, water and clouds that have been blotted out behind the profusion of the lines and forms, obliterated through transparency and superimposition. Of the mountain there sometimes remains no fixed, tangible matter; just splashes, and sometimes, in a corner of the image, against a background of blue sky, a summit of snuffed-out greys. One may be attentive to the pellucid layers of the printings, and the diaphanous, filmy reality of photography. Or one may restrict one's perceptions to the emerging mountaintops in the form of shadow images – ghostly apparitions, like the fuzziness in Charles Nègre's images, or G. Didi-Huberman's “photographic accidents with their recurring spectrality of the 'moved' images that are so close to the phantasmagorical optics of the 19th century”21. But the effect, in this particular case, is contradictory. The forms are sometimes discreet, and sometimes more wraith-like, as at La Grave (Les Ecrins, 2007). At any rate they give the measure of the photographed site, and, incidentally, suggest the immensity of the landscape. Vertigo. In a corner of an image, a cliff appears, and its form suggests the amplitude of the indistinct space that surrounds it.

As in his first images, Eric Bourret is revisiting the photographically visible and perceptible. But while in the earlier works he was sampling visibility – working on emptiness and tenuous appearances, the infinitesimal and the sombre, the unusual and disturbing identification of things both reproduced and constructed – he has chosen duplication and luminous highlights, the profusion and informality that necessitate variations in perception. How to see? What to see? What to look for? A piece of landscape, formal action on the density of grey tones and rhythms; the almost phenomenological establishment of a relationship between the envisioned and the envisioning; the fine, limpid material of the photographic film; or the expression of a world that has confusedly, yet uniquely, become a field of luminous, rhythmic phenomena? In this world, objects have lost the values on which their liquid or solid identities were based. What difference is there between the Presqu'île de Giens (2007) and Les Ecrins (2007), presented face to face? Looking at, and attempting to interpret, these images of rhythm and light, one might recall what G. Bachelard wrote about the rhythmic, undulatory character of matter, or M. Collot's view that “emotion-matter is not an inert, amorphous mass, but is animated by an energy that brings out its true nature”22. In the discontinuous movements of the photographing body, and the combinations of liquid, gaseous and mineral matter, Eric Bourret seems to be saying that “clouds, firn, glaciers, mountains and water are passages, transient states, emergent forms of chaos”.

Marie Renoue, 2008

 
 
 
Après avoir arpenté les rivages de France et d’Europe, les sites antiques du Proche-Orient et d’Asie du Sud-Est, les hauts plateaux himalayens, après s’être intéressé au patrimoine industriel du littoral, le photographe-philosophe se tourne désormais résolument vers les grands espaces naturels qu’offrent la montagne, et tout particulièrement les Alpes françaises. Hun-Tun se situe principalement dans les Alpes-Maritimes, au sens le plus littéral du terme puisqu’il associe le littoral – de la Presqu’île de Giens aux calanques de Cassis – aux Alpes du Mercantour aux Hautes-Alpes.
 
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Dans la lumière micacée des photographies d’Eric Bourret où les montagnes semblent si proches que l’on pourrait en caresser les feuilles

« A vous, enchaînés aux affaires terrestres
A l’envie je songe aux demeures alpestres
Avec la blanche lune, le vent pur souriant de concert
Parmi les pins bleutés, parmi tant de vert
M’asseoir et méditer
Me lavant des regards calculateurs et de la notoriété ».
Ji Gong, moine taoïste (1130-1207)

« La mer rafraîchit notre imagination parce qu’elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu’elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses ».
Marcel Proust

Depuis dix ans fleurissent bon nombre d’expositions relatives à la représentation de la montagne parmi lesquelles Le Sentiment de la montagne au Musée de Grenoble en 1998, Montagne au Mart de Rovereto en 2004 ou Alpes de rêve au Forte di Bard, près de Turin, en 2006 et, plus indirectement, Les Figures de la marche au Musée Picasso d’Antibes, en 2000 partaient de la peinture pour tendre vers la photographie contemporaine représentée par des œuvres de Richard Long, Hamish Fulton, Andy Goldsworthy, certains des élèves de Bernd et Illa Becher tels qu’Andreas Gursky ou Axel Hütte mais également Gloria Friedmann, Suzanne Lafont ou Walter Niedermayr. Fait marquant, Éric Bourret n’y figurait pas. C’est une des raisons pour laquelle en regard de l’exposition consacrée à Richard Long nous avons souhaité présenter dans la Galerie Contemporaine du MAMAC deux séries récentes de travaux d’Éric Bourret, artiste-marcheur à l’instar de son ainé anglais.

Après avoir arpenté les rivages de France et d’Europe, les sites antiques du Proche-Orient et d’Asie du Sud-Est, les hauts plateaux himalayens, après s’être intéressé au patrimoine industriel du littoral, le photographe-philosophe se tourne désormais résolument vers les grands espaces naturels qu’offrent la montagne, et tout particulièrement les Alpes françaises. Hun-Tun se situe principalement dans les Alpes-Maritimes, au sens le plus littéral du terme puisqu’il associe le littoral – de la Presqu’île de Giens aux calanques de Cassis – aux Alpes du Mercantour aux Hautes-Alpes. « J’ai intensément travaillé, écrivait Éric Bourret sur les territoires des Alpes-Maritimes. Il est parfois troublant de constater de façon aussi prégnante une insertion minérale-liquide dans la même image. Est-ce projeter l’espace de ma boîte crânienne ? le résultat de mon engagement corporel dans le paysage ? Est-ce la saisie de la mémoire géologique, énergétique, du souvenir de la montagne-eau ? » Il convient à ce propos d’insister sur l’implication physique du marcheur dans la nature afin « de rendre palpable le flux et la relation énergétique des éléments entre eux ». Ce phénomène s’accentue lorsqu’il se passe de pied pour stabiliser son appareil photographique: « lors de la prise de vue, tenant mon appareil à bout de bras et lui imposant un temps de pose lent, je vibrais et mon corps bougeait. » Même intention à l’abord du tirage qui est pour lui « donner mon corps au paysage et à la chimie du laboratoire pour les révéler ».
Loin de s’opposer, les Panoramiques quasiment impressionnistes et abstraits et les Polyptyques au piqué photographique « chirurgical » se complètent paradoxalement. Plus encore, elles épousent parfaitement les mouvements kantiens de l’âme. Si la mer calmée est belle, elle est sublime déchaînée tandis que la campagne n’atteindra jamais le sublime de la montagne. En ce sens, Bourret fige le mouvement maritime et fait vibrer le figé alpestre. Historiquement, il faut remonter à Alexander Cozens au XVIIIe siècle qui applique aux paysages sa méthode de la tache en fixant des lignes, des masses aux caractères dépassant la description topographique. Refusant la composition horizontale et la hiérarchie des plans, le paysage est dès lors perçu dans sa grandeur pour transmettre l’émotion. Peu de temps après Cozens, Caspar Wolf introduit des éléments topographiques naturalistes et cristallins qui répondent à l’idée du sublime romantique : rochers suspendus ou anthropomorphiques, crevasses, ravins et beautés météorologiques. L’évolution de la description scientifique et le développement du panorama vont de pair. Cela se retrouve dans les dioramas alpins de Daguerre mais plus encore chez Ruskin qui prend conscience que l’artiste agit pour « restaurer » le paysage dans le but d’atteindre sa vérité personnelle du lieu.

Il faut noter qu’il y a chez Éric Bourret une forte attirance synesthésique liée au médium photographique ; l’artiste cite en effet certains photographes (de Stieglitz à Giacomelli) mais plus encore Long ou Penone, Scelsi ou Cage. « Tout ou partie des images que je réalise est le résultat de nombreuses heures d’écoute de musique, notamment contemporaine. » Dans un récent texte, l’artiste précisait sa pensée sur cette correspondance des arts : « Je vous propose une lecture d’artistes qui utilisent différents médiums à des époques distinctes mais qui me semble d’un point de vue philosophique développer l’ambition d’une capacité renouvelée à évoquer le monde matériel et spirituel, physique et mental, naturel et métaphysique. En ce sens, bien que le choix du médium soit différent, je nourris une posture sensitive et familière “autour” des mouvements Land Art, Arte Povera et Musique Spectrale. » D’ailleurs, il ne paraît pas inopportun de rapprocher ses clichés littoraux au plan pictural all over et ceux alpins à la matérialité de la sculpture.

Sans verser dans l’aspect technique, il convient de définir la pratique argentique de Bourret, tireur de ses propres clichés, technique qui n’est pas sans faire penser à un processus conceptuel.
Pour les images du littoral, il lui faut de la hauteur pour figer en plongé la mer, d’où le choix de falaises ou calanques. Pour les montagnes, il superpose sur le même négatif de six à neuf impressions du même point de vue réalisées à quelques secondes d’intervalle « De cette manière, j’obtiens d’une part une oscillation du sujet photographié – l’espace vibre – et, d’autre part, la saisie qui en résulte capte simultanément l’échelle temporelle humaine et celle géologique. La sensation solide ou fluctuante des territoires que j’arpente tend à désigner le champ d’investigation comme un espace permanent de mutation […]. Avec ce mode opératoire, j’assume pleinement l’indétermination qui en résultera, ce qui me permet de me concentrer sur la saisie de la nature appréhendée comme un corps vibratoire. Cet aléatoire provoque une tension qui évacue partiellement la saisie photographique comme acte prémédité et brouille les données perceptives pour ouvrir l’horizon aux interprétations métaphysiques. 
Après les prises de vues qu’il nomme « prélèvements », il n’analysera les planches contacts que bien postérieurement.

Ce qui caractérise la perception de ces paysages, c’est justement le renversement des données perceptives habituelles de la photographie. Lui-même l’affirme : « Je m’amuse à corrompre l’idée de réel. » Comme dans Blow up de Michelangelo Antonioni, « la vérité » figurative demande un complexe  scanning  visuel. Corruption sémiologique du réel pour Marie Renoue, métamorphose des matières ou du réel selon Gilbert Beaugé et Jean Arrouye, Bourret transfigure le visible, bouscule la notion d’échelle de cadrage et de distance.
Hun-Tun est un bien singulier titre d’exposition qui demande explication. Dans le mythe de création du monde par Vishnu, le dieu fait surgir du magma originel l’eau, le vent, le feu ainsi qu’un lotus d’or où Brahma est assis : des pétales naissent les montagnes (mythique Sumeru et mont Kailash) d’où coulent les fleuves fécondateurs comme le Gange. Pour cela, Vishnu baratte la mer, symbole du chaos.

Selon Augustin Berque, la Chine découvre l’esthétique paysagère vers 200 après Jésus-Christ et l’un des principaux vocables utilisé pour désigner le paysage est shanshui, littéralement montagne-eau mais aussi le tableau qui la représente. Cet idéal implique une fusion cosmique de l’homme et de l’univers en relation avec les antiques religions extrême-orientales (chamaniste ou taoïste). Au fond, il n’y a que peu de différence entre la conception chinoise du shanshui et celle du paysage capturé de l’art japonais. Hun-Tun est évoqué par Tchouang-Tseu comme état chaotique primitif du monde avant la séparation du Yin et du Yang, sans pour autant signifier chaos au sens occidental. Et Bourret d’ajouter que «  Chaos est Unité et Nature. Chaos représente l’état naturel de la planète. ». L’artiste précise qu’Hun-Tun, «  est le chaos originel qui précède le ciel-terre. C’est le souffle primordial qui dégage l’unité initiale qu’on désigne par Un, lequel engendre Deux qui représente les souffles vitaux. Hun-Tun est aussi l’état virtuel qui précède l’acte de peindre ».

L’altitude donne lieu à des phénomènes se répercutant sur la physiologie et le psychisme du marcheur : moins de pesanteur et d’oxygène, augmentation des radiations solaires et cosmiques favorisent l’idée d’une montagne sacralisée. Aux plaines horizontales se substituent les verticales et plus on s’élève, plus on embrasse le paysage où s’amenuisent les distances. La domination physique de l’alpiniste entraîne sa domination mentale. La haute montagne, tout comme la mer ou les déserts, espaces gigantesques, sont une incarnation de la puissance au sens le plus nietzschéen qui soit. Plus on monte, plus le végétal se fait rare au profit du minéral, de la neige et de la glace. Les lignes de force du paysage, d’abord multiples, convergent jusqu’au point nuptial de la cime qui ramène à l’Unité si chère à Bourret. Unité également de la palette colorée qui se résorbe dans des couleurs antithétiques autour du noir bleuté et du blanc. Par ailleurs, le passage de la plaine à la montagne ainsi que celui du bruit au silence, quoique relatif, invite le marcheur à ce que Nietzsche, le dompteur éternel des cimes de l’esprit nommait « la musique des solitudes », supra-humaine. « J’ai connu, raconte A. David-Neel, dans les Himalayas, un endroit où un invisible joueur de flûte paraît avoir élu domicile au pied d’un glacier. »

Si pour Schopenhauer et Nietzsche, nos brahmanes du nord, la marche favorise la pensée, elle est en revanche contre-indiquée par les taoïstes et l’essentiel des peuples pratiquant le chamanisme. Tandis que Richard Long réalise des sculptures en marchant, Éric Bourret, lui, photographie le lieu de l’œuvre.

Pierre Padovani & Gilbert Perlein, 2008

 

In the mica-toned light of Eric Bourret’s photographs, where the mountains seem so close that one could stroke their leaves

« Of you, chained to terrestrial things
To desire, I muse, in hilly abodes
With the white moon, the pure wind smiling in accompaniment
Among the blueish pines, and in so much greenness I sit and meditate
Washing myself of reputation’s calculating gaze. ».
Ji Gong, Taoist monk (1130-1207)

« The sea refreshes our imagination, because it does not make us think about the life of man, but gladdens our souls since, like them, it is an infinite, powerless aspiration, a thrust that is ceaselessly interrupted by falls; an eternal, soft complaint. It enchants us like music, which unlike language does not bear the trace of things. ».
Marcel Proust

The last ten years have seen a number of exhibitions centred on the representation of mountains, among which Le Sentiment de la montagne at the Musée de Grenoble, in 1998, Montagne at Rovereto’s MART, in 2004, Alpes de rêve at the Forte di Bard, Turin, in 2006, and, if less directly, Les Figures de la marche at the Musée Picasso, Antibes, in 2000, started with painting, but reached out towards contemporary photography as represented by the work of Richard Long, Hamish Fulton, Andy Goldsworthy, and some of the Bechers’ acolytes, for example Andreas Gursky and Axel Hütte, but also Gloria Friedmann, Suzanne Lafont and Walter Niedermayr. It is curious to observe that Eric Bourret’s name does not figure on the list. And this is one of the reasons why, in tandem with the Richard Long exhibition, two recent sets of works by Bourret – a walker-artist, like his English predecessor – are being shown at MAMAC’s Galerie Contemporaine. Having paced out the shorelines of France and other European countries, ancient sites in the Middle East and south-east Asia, and the high plateaus of the Himalayas, and having become interested in industrial and coastal heritage issues, the photographer-philosopher took a resolute turn towards the great natural spaces of mountainous regions, in particular the French Alps. Hun-Tun was based essentially on the Alpes-Maritimes region, in the literal sense of bringing together the Alps (between the Mercantour and the Hautes-Alpes) and the coastline (between the Presqu’île de Giens and the inlets of Cassis). “I worked intensely in Alpes-Maritimes”, Bourret wrote last winter. “It’s sometimes disturbing to observe such an imposing liquid-mineral introjection into an image. Does this mean projecting the space of my skull? Or is it the result of my corporeal implication in the landscape? Is it a grasping of geological and energy-based memory, or that of mountainwater?” In this respect, one might insist on the walker’s physical grappling with nature in order to “make palpable the flows and energy relationships between the different elements.” And this was accentuated by his decision not to do anything to stabilise his camera: “While making the image, holding the camera at arm’s length and with a long exposure time, I was vibrating, and my body was moving.” And the same intention presided over the printing process, which meant “giving my body to the landscape, and to the chemistry of the laboratory, for revelation.”
Far from being mutual opposed, the Panoramiques, which are quasi-impressionistic and abstract, and the Polyptyques, with their “surgical” photographic grain, are paradoxically complementary. They also espouse the Kantian movements of the soul. If the sea, when calm, is beautiful, when raging it is sublime, whereas the plain will never attain the sublimity of the mountain. In this sense, Bourret glaciates maritime movement, and makes the stasis of mountains vibrate. Historically, we have to go back to the 18th century, and Alexander Cozens’ application of colour fields to landscapes by the insertion of lines and masses that went beyond topographical description. With the rejection of horizontal composition and the hierarchy of planes, landscapes were perceived in their grandeur, as vehicles of emotion. Shortly after Cozens, Caspar Wolf brought in naturalistic, crystalline topographical elements, reacting to the idea of the “romantically sublime” with glowering or anthropomorphic rocks, crevices, ravines and meteorological beauty. The evolution of scientific description and the development of the panorama went hand in hand. And this came back once more in Daguerre’s dioramas, but still more in Ruskin’s realisation that an artist’s aim is to “restore” a landscape, and to attain his personal truth of the place. It should be noted that with Eric Bourret there is a strong synaesthetic attraction linked to the photographic medium: he quotes, in effect, certain photographers (from Stieglitz to Giacomelli), but also Long and Penone, Scelsi and Cage. “Some or all of the images I produce are the result of many hours spent listening to music, especially contemporary music.” In a recent text he set out his thinking about correspondences between the arts: “I would suggest looking at artists who have worked in different media, at different periods, but who seem to me, from a philosophical point of view, to have been fired by the idea of developing a renewed ability to evoke material and spiritual, physical and mental, natural and metaphysical worlds. In this sense, though the choice of the medium may be different, I am building a sensitive, familiar position ‘around’ Land Art, Arte Povera and Spectral Music.” And it does not appear inappropriate to draw comparisons between the “all over” pictorial planes of the coastal images and the sculptural materiality of the Alpine images. Without going into the strictly scientific aspects of the question, it is important to look at Bourret’s gelatin-silver technique, given that he makes his own prints in a way that suggests a conceptual process. For the coastal images he needs height to get a vertical view of the sea; hence the choice of cliffs and creeks. For the mountains, he superimposes six to nine impressions of the same view, taken at intervals of a few seconds. “In this way,” he explains, “I obtain, on the one hand, an oscillation of the photographed subject – the space vibrates– and, on the other hand, the result simultaneously captures the temporary human scale, and one that is geological. The solid or fluctuating feel of the territories I explore tends to designate the field of observation as a permanent space of mutation. (…) In this operational mode I fully accept the resulting non-determination, which allows me to concentrate on seizing nature as a vibratory body. This randomness generates a kind of tension that partly cancels out photographic capture as a premeditated act, and subordinates perceptual data to metaphysical interpretations.” Following the image acquisitions that he refers to as “samplings”, he analyses the contact plates only much later. What characterises the perception of these landscapes is precisely the inversion of photography’s usual perceptual data. Bourret himself says that he enjoys “corrupting the idea of reality”. As in Michelangelo Antonioni’s Blowup, figurative “truth” requires complex visual scanning. A semiological undermining, for Marie Renoue; a metamorphosis of matter or reality, for Gilbert Beaugé and Jean Arrouye – Bourret transfigures the visible, overturning the notion of scale in terms of framing and distance. Hun-Tun is an unusual title for an exhibition, and it begs an explanation. In the myth of the world’s creation by Vishnu, the god brings forth water, wind and fire from the primal magma, along with a golden lotus on which Brahma is seated. From its petals rise up the Himalayan peak Kailash and the mythical Sumeru, which are the sources of life-giving rivers such as the Ganges. For this purpose, Vishnu churns up the sea, the symbol of chaos.
According to Augustin Berque, China discovered the aesthetics of the landscape around 200 AD, and one of the terms used to designate this was “shan-shui”, which literally means “mountain-water”. It also refers to the kind of picture that represents it. This ideal implies a cosmic fusion of man and the universe, in line with ancient Oriental religions (shamanistic or Taoist). In the end, there is little difference between this Chinese concept and the way in which Japanese art treats landscapes. The term “hun-tun” is defined by Chang Tsu as a primordial chaotic state of the world (though not in the Western sense of the word “chaos”) before the separation of the Yin and the Yang. In Bourret’s words, “it’s the supreme ideal of Taoism. Chaos is wholeness, oneness and Nature. Chaos represents the natural state of the planet. In ancient China, ‘chaos’ doesn’t just mean disorder, but also a respectable aesthetic state.” And he adds that Hun-Tun represents “the primeval chaos that precedes earth-sky. It’s the original pneuma that brings out the initial unity designated by ‘One’, which gives rise to ‘Two’, which represents the vital breaths. Hun-tun is the virtual state that precedes the act of painting.”
Altitude gives rise to phenomena that have repercussions for the physiology and psychology of the walker: along with reduced weight and oxygen, an increase in solar and cosmic radiation favours the idea of a sacred mountain. Horizontal plains are replaced by vertical lines, and distances shrink. The physical domination of the climber brings about his mental domination. The higher slopes, like the immensities of seas or deserts, embody power in the most Nietzschian sense of the word. The higher one goes, the more the organic gives way to the mineral, accompanied by snow and ice. The lines of force of the landscape, initially multiple, converge onto the nuptial point of the peak that restores the Unity on which Bourret insists. There is also the unity of the colour palette, which is absorbed back into antithetical colours that gravitate around blueish-black and white. And the passage from the plain to the mountain – along with the passage from sound to silence (though relative) – offers the walker what Nietzsche, that eternal conqueror of the mind’s peaks, called “the music of the solitudes”, super-human. “In the Himalayas”, says A. David-Neel, “I came across a place, at the foot of a glacier, where an invisible flute player appeared to have made his home.”
For Schopenhauer and Nietzsche (our Brahmans of the north), walking facilitates thinking, though the Taoists, and most of those who practise shamanism, do not share this view. Where Richard Long creates sculptures as he walks, Eric Bourret photographs the locus of the work.

Pierre Padovani & Gilbert Perlein, 2008
Translated by John Doherty

 
 
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