Eric BOURRET 

Eric Bourret, le romantique

Eric Bourret (né en 1964) est un artiste romantique, au sens historique du terme. Ses œuvres récentes, les ciels, en sont un exemple patent.
On pourrait arguer que le romantisme relève d’un autre temps, où la photographie n’existait pas, mais ce serait faire abstraction de la fonction mémorielle 1 des cieux eux-mêmes, qui relient entre eux les époques et les lieux. À cela s’ajoute l’action même du photographe marcheur,
qui gravit les sommets pour réaliser ses oeuvres. Dès lors Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich (1818), et avec lui toute la littérature romantique, s’imposent comme références.
Pour l’artiste romantique, la vie est un voyage semé d’embuches au cours duquel l’homme apprend à se connaître. Il fait partie intégrante de la nature, et les cieux sont le miroir de ses émotions et de ses sentiments, autant que de l’instabilité du monde. De même que les écrivains
voyageurs comme Chateaubriand, Lamartine, Sand, ou Nerval composent un récit de voyage qui se focalise souvent sur l’infini du ciel, marqué autant par les souvenirs que par les rêves, Eric Bourret marche depuis vingt-cinq ans vers les sommets, photographiant non pas les traces de son passage (comme Richard Long ou plus récemment Francis Alÿs 2), mais simplement les éléments qui l’entourent, la terre et les nuages. Ce rapprochement avec la littérature est dès lors d’autant plus juste que pour lui la marche est « un acte philosophique et une expérience spirituelle. » 3 Il explique même que si l’on marche pendant plusieurs jours, « les distorsions entre soi et le paysage s’amenuisent. La photographie retranscrit les flux qui animent le paysage comme ceux qui animent notre propre corps.» 4 Chez lui l’homme ne fait plus qu’un avec le paysage, comme chez Caspar David Friedrich ou Chateaubriand, et à grâce à lui, le regardeur en fait autant : le grand format des photographies propulse littéralement le spectateur dans l’image, faisant ainsi sienne l’expérience quasi mystique de l’artiste.
Si l’histoire de la peinture regorge de représentations du ciel, la photographie n’est pas en reste, qui regroupe autant les images scientifiques qu’artistiques : des photographies astronomiques de Jules Janssen (1824-1907), aux ciels étoilés de Thomas Ruff (né en 1956) en passant par les Equivalents d’Alfred Stieglitz (1864-1946), le ciel, les étoiles, la lune, le soleil ou les nuages font l’objet d’études innombrables et constituent une source d’inspiration infinie, du poétique au mystique. Chez Stieglitz, comme chez les peintres romantiques, les nuages sont le reflet de son intériorité. Dans le parc de sa propriété familiale de Lake George, il entame une série de prises de vues de nuages qu'il nomme Equivalents (1925-1931) car il désire montrer "un équivalent extérieur de ce qui a déjà pris forme en moi". Comme lui, Eric Bourret choisit un centre lumineux, dont on ne sait s’il s’agit du soleil ou de la lune, laissant ainsi subsister un doute sur la prise de vue : est-elle diurne ou nocturne ? Les contrastes fond/forme et noir/blanc créent une tension rappelant le gouffre d’un côté (le spleen de Baudelaire 5) et les hauteurs célestes de l’autre (le romantisme flamboyant de Victor Hugo). Certaines images captent en effet l’aspect dynamique d’une traînée nuageuse qui se dilate vers le haut, tel « le roulis gigantesque des cieux » 6. Cette forme ascensionnelle et le sentiment d’infini qui en découle appellent à l’émancipation de l’âme hors de la matière et de la pesanteur (comme en témoigne la poésie de Victor Hugo 7). C’est précisément ce qu’explique Eric Bourret lorsqu’il évoque « les matières des espaces traversés… l’épaisseur des éléments et leur fugacité…
la métamorphose de la matière ». Et c’est bien de métamorphose dont il s’agit quand les nuages se transforment en écume bouillonnante. Un renversement est opéré, qui génère une confusion des repères. La verticalité entraîne aussi bien l’envol que la chute, rappelant le mythe d’Icare et le rêve de transmutation de l’homme en ange, conte romantique s’il en est.
Eric Bourret, parce qu’il est un « artiste marcheur » 8 qui communie avec la nature au point de ressentir son rythme au plus profond de son être, mais aussi parce qu’il cherche à se rapprocher au plus près de la « lumière » afin de « surplomber le brouillard de la connaissance », est un peu le Voyageur contemplant une mer de nuages du XXIème Siècle…

Emmanuelle de l'Écotais, 2014
Conservateur du département photographie au Musée d'Art Moderne, Paris

 

Hubert Damish décrit trois fonctions des cieux dans Théorie du nuage. Pour une histoire de la peinture, Paris, Seuil, 1972
Richard Long, Walking a line in Peru, 1972; Francis Alÿs, Magnetic shoes, La Havane, 1994; cf. au sujet des artistes marcheurs : Dominique Baqué, Histoires d’ailleurs, Editions du regard, 2006
Cf. entretien avec Isabelle Bourgeois, « Itinéraire d’un piéton d’altitude », in Trace, automne 2011-Hiver 2012, p.
Op.cit.
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »
Victor Hugo, Dieu
Poétique du ciel intérieur dans le poème Dieu de Victor Hugo
Comme il est né à Marseille, on imagine assez bien que les Calanques sont à l’origine de sa passion pour la marche et la montagne…

 
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