Goodbye Horses 2011
Fibre de verre, carbon 3M, Bugatti Veyron
Co-production Rendez-vous 11
Vue de l’exposition Rendez-vous 11, 11e Biennale de Lyon, Institut d'art contemporain, Villeurbanne, 2011
La référence aux chevaux touche ici au concept philosophique qui consiste à transcender un niveau de conscience. Si les chevaux peuvent évoquer la noblesse d’une force à l’état sauvage, ils désignent également l’unité de mesure de la puissance. Goodbye horses, c’est l’adieu à la course. Dès que l’on a saisi cela, les chevaux n’ont plus d’importance. « On passe son temps à dessiner des objets abstraits sans jamais les voir, on projette leur forme, on imagine leur potentiel » explique Fouad Bouchoucha pour parler des processus déclinés dans l’ensemble de son travail. Fasciné par l’idée de démesure incarnée dans les formes et les signes issus des pratiques relatives à la performance (sonore, technologique, physique ou automobile, etc.), Fouad Bouchoucha met ici en œuvre un projet aux allures de challenge, imaginé autour de la Bugatti Veyron : nouveau bolide breveté par la marque pionnière et avant-gardiste dans l’industrie automobile de haut niveau.
À travers les leitmotivs performatifs animant son travail, et questionnant les réserves de projection et de suggestion contenues dans les formes, l’artiste opère par un nouveau tour de force : convaincre le constructeur de « la voiture la plus rapide du monde » de produire l’objet qui viendra surpasser son propre potentiel, et annuler par là même les conditions de son avènement « réel ».
Le bolide, véhiculant par son langage technique, esthétique et communicationnel l’idée d’un potentiel plus fort que soi, devient le socle d’une projection fantasmatique ultime : dépasser le record, aller plus loin encore. Concrètement, l’idée d’une puissance exaltée à l’absolu vient à être matérialisée par l’invention d’un kit de vitesse sur mesure, à la fois prothèse d’amplification et module sculptural manifeste. Une sorte de prototype personnalisant et poussant la machine dans ses retranchements jusqu’au point de son aberration même.
Plus précisément, le cahier des charges conçu par l’artiste invite le constructeur à faire l’étude et produire le dessin de cet appareillage dont la forme inscrirait l’idée, et une équipe d’ingénieurs complices pour sa réalisation. De ce procédé découle un habillage esthétique et aérodynamique qui, en venant parfaire les facultés de l’engin, obstrue du même coup toutes voies de visibilité (phares, pare-brise avant), annulant ainsi toute possibilité de conduite et donc de fonctionnement, tout en exhibant de manière statique son conditionnel de force et de vitesse optimale.
Une manière pour l’artiste de poser un label technique à l’œuvre, renfermant ici la promesse d’un « pouvoir » de l’objet maintenu à l’état d’hypothèse, et concentrant par là toute la technicité des industries de hautes performances actuelles emprises à la surenchère — jusqu’à dépasser la possibilité même de l’expérience, d’une mise à l’épreuve et à l’échelle du corps.
Induite à l’extrême de ses prétentions, la Bugatti ainsi modélisée est rendue prisonnière de sa propre abstraction.
La proposition de Fouad Bouchoucha s’ancre ainsi aux nœuds d’un déclassement, et réinterroge les conditions de l’avènement « artistique » d’une forme dans ses étroites relations avec son contexte de production, de diffusion et de monstration.
L’artiste tend ainsi à déjouer les protocoles standards relatifs aux territoires qu’il convoque, tout en orchestrant les connexions et les voies d’issues par la prise commune d’un risque à faire art.
Leila Quillacq |