Fouad BOUCHOUCHA 

Air de jeu 2012

Le Palais de Tokyo a rouvert ses portes sur la performance sonore Air de jeu. À entendre de près comme de loin, les cornes de brumes dans lesquelles l’artiste expulse l’air comprimé du Palais ont sonné l’appareillage de ce navire dans sa nouvelle aventure.
 

Air de jeu 2012

« L’espace peut-il s’exprimer à travers le son ? Si c’est le cas, quelle quantité de ce dialogue peut-il être contenu dans un seul son ? Ces deux questions, intangibles et espiègles, sont au cœur du travail sonore de Fouad Bouchoucha (ou pour être plus précis, des démonstrations sonores). Plusieurs œuvres précédentes de l’artiste jouaient avec les fréquences résonantes d’espaces spécifiques. En 2010, l’oeuvre Squelette présentait une tentative de trouver un signal parfait à travers un tensiomètre sonique élaboré entre un échafaudage et la salle dans laquelle il se trouvait. En 2009, dans Exposition Collective, il explorait la pression, presque inhumaine, produite par les systèmes sonores de voitures.
Mais Air De Jeu fourni un cadre beaucoup plus large pour ses démonstrations: Le ciel de Paris. Composé de neuf cornes de brume soufflant pendant sept minutes du toit du Palais de Tokyo, cet assaut sonore marquait la réouverture de ce haut lieu de l’art contemporain à Paris attendue par une masse de spectateurs. Au cœur de cette performance, figurait une série de disproportions - un élément récurrent dans le travail de Fouad Bouchoucha - entre la vaste zone qu'il couvrait (environ 7,2 km2), la relative petite taille de ses dispositifs, et la virtualité de son origine. En effet, l'intensité et la durée de ce son ont été dictées par le volume cubique d'une pièce de l’institution qui a été condamnée (mais non comblée) pour des raisons architecturales, lorsque le bâtiment a été rénové l'année dernière.
C'est sa manière de créer une prise de conscience d'une réalité spatiale cachée. Ce faisant, il donne à cette salle méconnue et inutile, un moyen d'expression et une présence assourdissante dans une soirée où la nouvelle et plus grande construction, à laquelle elle appartient, est célébrée. Le titre de l'œuvre Air de Jeu se résume mieux ainsi: un jeu de mots qui peut être compris comme un «terrain de jeu de l'air» - un endroit où cette zone résiduelle peut jouer une dernière fois.
Et quand le jeu commence, une fois que cet espace perdu a été traité par la méthode sonore de l’artiste, nous sommes alors envahis par un ensemble de phénomènes psychologiques inattendus. Ce qui était censé être le chant du cygne de cette pièce autrefois fonctionnelle, s’appuie sur une force émotionnelle cathartique à travers une succession de longues explosions de sons créant des réponses viscérales et physiques de l'auditeur. L'espace sonore dont Fouad Bouchoucha a pris possession, est d'habitude occupé par d'autres autorités, des signaux parfois inquiétants comme le tonnerre, les feux d’artifices ou les tests mensuels de sirènes des secours qui ont lieu en même temps dans tout le pays. L’ensemble de sons créés par l’artiste interroge aussi les réflexes instinctifs, l’imagination, et produit potentiellement des illusions dans l’esprit de ceux qui l'ont entendu d'emplacements éloignés, inconscients de la source du son.
Quoique le chant des cornes de brume soit irréversiblement perdu dans cet espace presque infini, l'utilisation de l’artiste du son comme un outil, atteint son but tant conceptuellement qu’esthétiquement : la matérialisation d’un espace précédemment perdu en une manifestation sonore qui donne vie à cet espace comme un élément dérangeant, crée un potentiel dramatique. Ce son, éventuellement créé comme une manifestation divine, tire profit de la force poétique d’un message contenu dans une bouteille - bien qu’il soit très retentissant.
Thomas Corlin
The Wire Magazine

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