Plastique sonore. Optical sound, records & fine arts, entretien avec Laurent Catala, in MCD #45 - Musiques & Cultures Digitales, mars avril 2008
Laurent Catala : Optical Sound se présente comme une plate-forme d'édition cherchant à « diffuser des oeuvres sonores réalisées par des artistes plasticiens expérimentant le son ou, à l'inverse, des musiciens s'intéressant aux arts plastiques ». Comment t'est venu cet intérêt transdisciplinaire entre le visuel et le sonore, et comment s'est créé le label il y a dix ans ?
Pierre Belouin : Cette idée dépasse le domaine transdisciplinaire dans le sens où Optical Sound a vu le jour suite à une de mes installations qui porte le même nom et qui contenait la toute première édition du label 33t "Programme Radio" (OS.000).
Il faut donc voir Optical Sound comme mon travail de plasticien, je fabrique des objets en série avec des collaborateurs sonores; objets qui sont pour moi apparentés à des sculptures.
Optical Sound est donc mon travail de plasticien ou en tout cas une de ses matérialisation.
Cela peut prendre d'autres formes qui seront regroupées dans mon catalogue monographique intitulé "Persistance is All" (graphisme Digital Baobab, texte de Jill Gasparina) à paraitre en Janvier 2008 pour mon expo au FRAC Provence Alpes Côtes d' Azur.
L. C : Le catalogue disque d'Optical Sound avec des artistes comme Rainier Lericolais, Blue Baboon ou Cocoon (Christophe Demarthe), des compilations comme "Transmission 81-89" (ce n'est pas de moi mais d' Infrastition) et "Echo Location", fait la part belle à des artistes français, oscillant entre électronique lo-fi et post-cold-wave. Peut-on donc parler d'un son spécifique Optical Sound. ? Est-ce qu'il conditionne selon toi, au-delà du principe de croisement plasticien/musicien, leur présence sur le label ?
P. B. : Ma réponse est simple je produit essentiellement ce qui me plait, et ne cherche absolument pas à rentrer dans une niche ou un créneau qui ne sortirai qu'un seul type de musique facilement identifiable.
Ceci a pour effet de déstabiliser le public habitué et rassuré par les étiquettes, mais ce n'est pas un problème pour moi.
De plus il n'y a qu'un très faible intérêt financier si ce n'est celui de rentabiliser les frais d'édition et celui de diffuser le plus largement possible les sorties, ce qui me permet d'avoir une indépendance quasi totale et une durée de vie seulement limitée par mon énergie.
L. C : D'une façon complémentaire aux disques, Optical Sound semble beaucoup s'intéresser à l'objet, à travers les DVD (le « Crumple Zone » de Cécile Babiole ou le récent « Silent Room » de Skoltz Kolgen) ou les installations d' « art sonore » que tu proposes (je pense à l'objet musical du système lcosajack présenté cette année à Courtrai ou à l'objet détourné - le jeu sonore de voitures mis en place dans le cadre de STR Crsh à Ososphere cette année). Comment réfléchis-tu à l'équilibre entre la partie sonore et la partie plastique, celle de la mise en forme ou de l'objet, dans les différentes « productions » d'Optical Sound ?
P. B. : L'équilibre entre les différentes productions se fait assez naturellement dans le sens où assez souvent ce sont des travaux collectifs que je dirige, je fais simplement appels aux gens qui sont maîtres dans leur domaine, qu'il soit sonore, graphique ou audio-visuel pour exemple.
Mais j'ai l'habitude de travailler sur la durée avec des interlocuteurs tels que Claire et Olivier de Digital Baobab, p.n.Ledoux de Labomatic, Cocktail Designers, Norscq, Cocoon, qui font partis de mon univers, il me semble que nous saisissons les mêmes essences et bases et que chacun les dépasse à sa manière ce qui permet une constante évolution richesse.
L. C : J'ai particulièrement aimé le travail de rapport à l'objet du coffret « Silent Room » de Skoltz_Kolgen qui traduit très bien le principe de cloisonnement et de cohabitation des locataires du film du duo canadien en le répercutant sur la « cohabitation » des différents objets composant le coffret (le livre, les cds, le dvd). Comment as-tu rencontré ces artistes multimédias et comment a germé l'idée de ce coffret ?
P. B. : C'est en fait l'arcadi (www.arcadi.fr) qui m'a proposé de co-produire avec eux ce coffret, pensant à raison que l'univers sonore et visuel des Skoltz Kolgen correspondrait bien à Optical Sound, L'Arcadi fait partie des organismes avec lesquels je travaille de manière régulière sur un mode homogène et compréhensif artistiquement.
Ensuite toute la partie packaging et graphique a été gérée directement par les Skoltz qui ont l'habitude de gérer la chaine quasimment de A à Z.
L. C : Concernant le festival Ososphère, tu y es d'ailleurs invité chaque année pour y tenir un rôle de programmateur en art plastique, en plus de la présentation de tes propres installations. Comment t'es-tu retrouvé à travailler avec ce festival ? La notion de performance « live » te semble-t-elle complémentaire des activités d'Optical Sound ? Quel type de projet as-tu pu mettre en place dans ce festival que tu n'aurais peut-être pas pu mettre en place ailleurs ?
P. B. : Concernant Ososphère c'est Thierry Danet président de Artefact PRL qui dirige la salle de concert la Laiterie et donc aussi ce festival qui m'a proposé de matérialiser mes idées de rapprochements musiques / arts plastiques dans le cadre de ce festival, sous la forme d'une programmation similaire à celle que je fais avec Optical Sound, mais aussi en me permettant de réaliser mes propres projets solos.
Nous nous connaissons depuis longtemps et suite à de nombreuses discussions et centres d'intérêts communs musicaux nous travaillons ensemble de manière régulière depuis 4 ans maintenant, je suis donc en charge de la partie Art Plastiques sur ce festival.
Il est donc évident que j'aurais eu plus de difficulté à produire mes installations comme "I'll be yout mirror" ou "Str Crsh" par exemple, ainsi que d'inviter la majeure partie de mon réseau de collaborateurs qui mettent en valeur dans leur travaux mes préoccupations.
Je pourrais citer Cécile Babiole, Ultralab, Cocktail Designers, Eddie Ladoire, Stéphane Sautour, Sébastien Roux, Theirry Weyd, Rainier Lericolais, Antoine Schmitt, Vincent Epplay, Servovalve, Fréderic Post.
Pour terminer la notion de performance live m'intéresse quand elle revêt un aspect novateur et hybride de part le système d'écoute et d'accueil du public, par exemple les RDV de la Salle de Bain avec Cocktail Designers, ou Icosajack : V/a (OS.024) que nous avons co-produits récemment ou encore Str Crsh installations de diffusion pour 5 voitures Austin Healey's de collection.
L. C. : Beaucoups des productions d'Optical Sound sont en fait des co-productions (le « Silent Room » de Skoltz_Kolgen avec l'Arcadi), les compilations cds "Transmission 81-89" (pas transmission ) et "Echo Location" avec Infrastition (non en solo). Est-ce la logique économique ou le goût du travail collectif, partagé, qui prime dans ses nombreuses collaborations ?
P. B. : Ces co-productions sont liés la plupart du temps à un désir d'unité de fédération quasi utopique que les labels indépendants en France ont toujours tentés de mettre en place dans les années 80 avec toute la constellation V.I.S.A., Bondage pour les plus connus, et ce sans succès.
Je crois qu'a l'heure actuelle c'est encore pire, mais je persiste...Il me semble que en Angleterre ou Allemagne les histoires de Cartels fonctionnent mieux.
Après il y a dans ces co-productions bien évidemment des facilité économiques mais avant tout des cohérences et envie de travailler ensemble sur des productions que nous avons envie de mener à bout.
D'autre part mis à part les éditions DVD et quelques CD de Rainier Lericolais financés à la suite de ses expositions, les autres productions sont auto-financées.
L. C. : Dans une interview trouvée sur ton site, tu définissais ton travail de plasticien comme proche de l'univers musical, mais en précisant que tu pouvais en parler dans le cadre d'installations sans qu'il y ait forcément du son ? Peux-tu me préciser cela ? Par ailleurs, entre le « plastique » et le « sonore », lequel procède de l'autre dans ton travail créatif, lequel a en quelque sorte la priorité ?
P. B. : En effet je trouve cela parfois dommageable de faire ce qu'on appelle des "installations sonores", je veux dire que l'on peut parler de son, de musique, en Art Plastiques sans forcément diffuser du son de manière ambiante je n'ai rien contre et je le fais moi même, mais cela provoque des perturbations et parasitages quand il y a plusieurs installations dans une même exposition.
J'utilise donc quand cela se justifie des casques qui permettent de rentrer dans la matière sonore plus aisemment, ou tout simplement des installation muettes comme "TAPE WALL".
Entre le sonore et le plastique les deux sont étroitement liés, mais il est vrai que j'ai d'abord été féru de musique et les arts plastiques sont arrivés très vite quand je me suis aperçu que le Clash, les Pistols, Wire, Le Velvet Underground, Sonic Youth sortaient tous d'écoles des beaux-arts.
Donc les deux s'inter-nourrissent et suivent un chemin parallèle, ou une sinusoïde qui fusionnent de plus en plus.
L. C. : Dans la même interview, tu disais que tes mediums privilégiés étaient la photographie, le collage, le web, et les installations. Concernant le web, il n'y a pas sur le site web d'Optical Sound de créations spécifiquement dédiées au web comme c'est le cas pour la partie disques, dvd ou installation. Ne serais-tu pas tenté de réfléchir à un projet de création spécifiquement tourné vers ce média ?
P. B. : Je viens de les mettre en ligne, mais ces créations de type "web art" appartient au passé vu qu'elles ont été réalisées à la fin des années 90 vers 1996 aux beaux-arts de Paris, alors qu'à l'époque nous découvrions en France les prémices de ce medium avec des gens comme Maurice Benayou ou Paul Devautour.
Actuellement je n'ai plus les compétences techniques pour mener à bien des projets spécifiquement informatiques et jouant avec le réseau, mais je travaille beaucoup avec ce medium.
Par contre les recherches basées sur l'infini et l'aléatoire, l'organique dans l'informatique par Servovalve me passionnent, et nous allons sortir sous peu leur DVD hybride (co-produit par Arcadi) qui s'intitulera "temps Fixe - Temps créateur"
L. C. : Cette année Optical SOund fête ses dix ans. Comment regardes-tu le parcours d'Optical Sound ? Quelles sont les publications ou installation estampillées Optical Sound qui te semblent les plus marquantes durant ces années ? Quelles sont celles qui t'ont personnellement le plus touchées ou marquées ?
P. B. : Je regarde le parcours d' Optical Sound comme un pilier et une nouvelle naissance, les bonnes choses vont continuer !
Pour moi les productions les plus emblématiques furent "Music For Dreamachine" (OS.002) 2000 / Echo Location (OS.010) / Norscq "5 Streams" / V/a Next to Nothing (OS.016 / Rainier Lericolais "Yriex E.P" / Pierre Belouin V/a "Awan~Siguawini~~Spemki~~~" puis "Str Crsh", "L'homme Orchestre V.2" "Awan", "Previously on Optical Sound", mais je crois plutôt que c'est un tout global et cohérent qu'il faut envisager dans son ensemble.
L. C. : Quelles sont les idées de développement que tu as pour Optical Sound pour l'année à venir, les projets en cours ou futurs ?
P. B. : Je prépare donc mon exposition personnelle au FRACProvence Alpes Côtes d' Azur "Persistance is All-" avec un catalogue monographique pour le 17 Janvier, qui regroupe mes projets les plus emblématiques depuis 1997 mais aussi une résidence à la Villa Arson à Nice qui se terminera par une exposition au DOJO mettant en lumière que Pierre Beloüin et Optical Sound sont une seule et même chose.
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