Interview par Joseph Ghosn
J’ai rencontré le label Optical Sound au détour d’un paquet reçu par quelqu’un d’autre, il y a un peu moins de dix ans, aux Inrocks. Dans le pli, un disque sur la dreamachine de Brion Gysin, qui m’a tout de suite interpellé. Depuis, je suis le label de près et toujours fasciné par la manière si élégante qu’il a d’agencer visuels et musiques, d’inventer des pochettes qui donnent envie de se mettre à la musique. Pour y voir plus clair et faire découvrir le label aux lecteurs de ce blog, qui pourraient bien y trouver leur compte, j’ai demandé à Pierre Beloüin de répondre à 3 questions (ci-dessous) et faire une mixtape à partir de morceaux sortis sur Optical Sound. A lire, écouter, télécharger par ici. Joyeux Noël !
Comment est né Optical Sound et comment le label évolue-t-il ?
Le Label est né en 1997 alors que j’étais encore étudiant aux Beaux-Arts de Paris et membre fondateur de la galerie Glassbox. La toute première édition sous la référence OS.000 en 1998 est un vinyl 33T limité à 100 ex, « Programme Radio ». Il a été réalisé en duo avec Rainier Lericolais et conçu pour s’intégrer dans une de mes installations intitulée « Optical Sound » (The tower). Le label continue à se developper depuis cette date et compte à présent une soixantaine de références prenant la forme d’objets sonores, cd, vinyls, dvd, journaux, sérigraphies, installations…
Le nom est-il une ligne directrice ?
Le nom est en effet une ligne directrice. Il se réfère à la piste sonore optique des films 16 ou 32 mm, celle que l’on voit à l’œil nu. J’aime beaucoup faire référence au terme de « cinéma pour l’oreille », utilisé par le label Metamkine, et qui correspond bien à la notion d’images mentales générées par une écoute, une matière sonore : un film libre en quelque sorte.
Dès le départ, l’optique était de renforcer les liens entre musiques et arts plastiques (qui existent bien sûr déjà depuis le début du siècle). A la création du label, la notion était encore nouvelle en France vu les cloisonnements entre les disciplines ; le mot transversalité apparaissait à peine.
Les concerts dans les musées ou les travaux sonores avec des plasticiens étaient assez rares. On n’en parlait quasiment pas en écoles d’arts et de ce fait je me sentais assez isolé dans ma pratique qui pourtant se référait à différents courants artistiques existants.
J’avais pour habitude de citer de manière concrète Andy Warhol pour le Velvet Underground et Mike Kelley pour Sonic Youth. Si je trouvais écho, je développais…en précisant que j’étais venu aux arts plastiques par la musique et que les deux s’inter-nourrissaient à mes yeux.
J’ai toujours été un peu irrité par les tentatives de plasticiens à faire de la musique ; je préfère à présent parler tout simplement de musique plutôt que de plastique sonore… Ils sont en effet très rares à maîtriser les deux pratiques, et sans cela, on va généralement à la catastrophe, la forme peu aboutie prenant le pas sur le concept.
Dans propre pratique, je préfère faire appel à des musiciens aguerris pour réaliser les bandes sonores de mes projets artistiques, plutôt que de bidouiller moi-même; car pour bien faire je ne vois pas d’autres solutions que d’y travailler sans relâche pendant une année entière au moins. C’est la même chose pour le design graphique : on ne peut prétendre à tout maîtriser. D’où mes collaborations avec Olivier Huz ou P. Nicolas Ledoux.
Mon optique est donc de travailler en synergie et équilibre avec ces corps de métier et collaborateurs directs, comme le ferait un directeur artistique au sens premier et noble du terme. La sainte trinité sur une même ligne décisionnaire donc : producteur, graphiste, musicien. Le choix d’une équipe pour un projet n’est jamais innocent et je dois dire que jusqu’à présent l’émulsion a toujours fonctionné !
La musique du label a-t-elle toujours un lien avec les images ?
La musique éditée par le label n’a pas toujours un rapport direct avec des images ; elle peut aussi se rapporter à des situations, des thématiques, des textes, films, expositions, courants artistiques etc.
Ce sont avant tout des choix qui correspondent à mon univers musical et mental, un alliage de tout ce que j’ai pu voir, lire, sentir et écouter et que je continue à découvrir aujourd’hui. Je donnerai donc plutôt une ligne directrice qui m’est propre à travers ces objets sonores qui sont en quelque sorte des petites sculptures en série, un projet artistique à part entière.
Quels sont les artistes et disques les plus représentatifs du label ? Et quels musiciens aurais-tu aimé signer ?
Rétroactivement pour moi les disques et les artistes les plus représentatifs du labels pourraient être Rainier Lericolais, Norscq, Simon Fisher Turner
Ou encore ceux présents sur les compilations thématiques comme Music For Dreamachine, Next To Nothing, Echo Location, RVB~Transfert, Awan~Siguawini~~Spemki~~~. A eux seuls, ils pourraient situer un univers à première vue disparate mais qui à mes yeux forme un ensemble cohérent même si éclectique. Cette impression de différentes textures et courants musicaux traité est bien réelle ; elle est évidemment à double tranchant pour le public ainsi que pour les distributeurs et les diffuseurs, qui ne vont pas distinguer de prime abord une ligne directrice s’ils ne se donnent pas la peine donnent pas la peine d’en explorer le contenu. Et je suis plutôt contre les niches musicales ou les étiquettes…
Après tout pourquoi se contraindre à sortir un seul type d’artistes ? je ne mange pas tous les jours le même plat et je m’intéresse à une multitude de choses, sinon quelle lassitude ! Je n’ ai pas de plan commercial et je ne cherche en aucun cas à me calquer sur les gros labels bien identifiables pour produire un seul type de sujet.
Pour ta dernière question, si je n’ai pour le moment qu’un regret c’est de n’avoir pas pu sortir un disque de COIL.
Quelles sont tes sorties du moment et comment le label (su)rvit-il dans l’état actuel de la musique que tout le monde dit désastreux ?
Parmi les dernières sorties on trouve un coffret triple CD de Simon Fisher Turner autour des bandes sonores qu’il a pu réaliser pour Derek Jarman. Ce coffret s’intitule « Super 8 », avec la collaboration de Terre Thaemlitz, The Elysian Quartet, le projet est lié à l’importante exposition qui a eu lieu à la Julia Stoschek Foundation à Düsseldorf.
Il y a également le projet global de l’artiste David Michael Clarke intitulé Postgods avec la participation d’ Emmanuel Hubaut, la pièce sonore d’ Hervé Birolini « Trame », et d’autres projets à venir pour 2012.
Début décembre j’ai par ailleurs programmé une série de concerts radiophoniques dans la salle historique de l’Aubette 1928 à Strasbourg avec Radio en construction et l’Ososphère , des structures avec lesquelles je collabore régulièrement.
Ces concerts des Wild Shores, et Mathias Delplanque, composés pour l’occasion, étaient proposés dans la salle du ciné-bal en résonance avec l’exposition du MAMCS « L’europe des Esprits ». Nous avons en parallèle installé dans la salle des fêtes un juke box Rock-Ola des années 50 qui diffusait une commande de trois pièces sonores réalisées par les Ultra Milkmaids, Norscq, Thierry Weyd, et gravées sur 45T
Ces modalités de diffusion m’intéressent depuis longtemps et sont une manière d’enrichir le plaisir de l’écoute, tout en créant une alternative aux simples concerts conventionnels. Nous avons par exemple organisé des live sur des bateaux mouches toujours à Strasbourg sous le nom d ‘ « Echos Flottants » ; ou encore dans le cadre de mon travail de plasticien, une performance intitulée « Str Crsh » dans le parking du MAMCS où était diffusé une création sonore sur les auto-radios de sept Austin Healey.
Concernant le marché du disque, il est en effet catastrophique (comme bien d’autres). Il faut aussi noter que cet état de fait général, crié sur tous les toits, finit en fait par influencer et modeler la manière de penser et de consommer du public.
Optical Sound a commencé à sortir des disques à la fin des années 90 alors même que ce marché commençait tout juste à s’écrouler avec l’apogée du CD puis ensuite des formats numériques, un nivellement vers le bas de la compression sonore tout d’abord et un accès illimité (pour le pire et le meilleur) à la grande banque mondiale sonore.
Ce que je constate surtout c’est le manque de désir, symptomatique au regard de la profusion et de la facilité d’accès…Je me réjouis donc d’un potentiel assèchement…Nous y verrons tous plus clair ! Optical Sound est quasi entièrement auto-géré, et seules mon énergie, ma motivation et celles des artistes, conjuguées aux rares soutiens des institutions et des centres d’arts, font que nous persistons ! Si je dois produire des disques pour trois personnes, je le ferais.
josephghosn.wordpress.com
La mixtape est à télécharger par ici et voici son tracklisting :
01-TSÉ : « Pelicular Noise Loop »
/ From La Ralentie (OS.028)
02-OLIVIA LOUVEL : « The New Blonde »
/ From Lulu In Suspension (OS.027)
03-NORSCQ : « Il est étrange de voir à quel point les gens sont disposés à se laisser abuser par les apparences magiques de l’art »
/ From Gelatinosa Substancia (OS.029)
04-el TiGeR CoMiCs GRoUP : « 59 to 1 »
/ From V/a : Next To Nothing (OS.016)
05-NORSCQ (+Black Sifichi) : « Blue Haunted House »
/ From V/a : Awan~Siguawini~~Spemki~~~ (OS.023)
06-CLAIR OBSCUR : « Mon Ami Mon Frère »
/ From We Gave a Party for the Gods and the Gods all Came (OS.050)
07-THE GARÇON : « Couche Tard »
/ From The Garçon (OS.020)
08-RAINIER LERICOLAIS : « 01.10 »
/ From Courrier Electronique (OS.001)
09-SCANNER : « (Special Treatment For The) Family Man »
/ From V/a : Next To Nothing (OS.016)
10-WILD SHORES : « The Cage »
/ From V/a : Next To Nothing (OS.016)
11-RAINIER LERICOLAIS : « 00.25 »
/ From Courrier Electronique (OS.008)
12-EHB : « Time Square 01.01.00 »
/ From V/a : Music For Dreamachine (OS.002)
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