Still Memory 3 2013
Technique mixte / Mixed media, 50 x 35 x 32 cm
Vues de l'exposition Gilles Barbier, Galerie GP & N Vallois, Paris 2013
Photographie Aurélien Mole
Parmi les grandes surfaces inexplorées, avant le cosmos et le fond des océans, c’est sans doute le fond de nous-mêmes qui reste le territoire le plus lointain. Nous en sommes tous, à des degrés divers, des géomètres, des mesureurs, des inspecteurs, mais seule une petite délégation a reçu l’autorisation d’aller y plonger les deux mains, pour en ramener une boue mystérieuse. Les artistes, ces scaphandriers de l’inconscient, nous leur confions par principe et depuis au moins trente mille ans la lourde responsabilité de nous ramener, à chaque fois que cela est possible, quelque chose venant à peu près du fond de l’existence.
Gilles Barbier n’est pas un débutant dans la profession, il a même l’étoffe des héros, ceux qui n’ont pas peur de se coltiner les symboles, les poncifs et les démons personnels.
Quelque chose de végétatif On ne s’étonnera donc pas de retrouver à nouveau le corps de l’artiste, moulé, dans cette technique populaire et hyperréaliste que Gilles Barbier affectionne. Mais pourquoi toujours utiliser son propre corps, au risque d’un engloutissant narcissisme ? Pour Barbier, la réponse est avant tout technique, et relève d’une réalité d’atelier : c’est parce que son propre corps, cette forme qui vieillit, il l’a toujours sous la main. Il sait lui donner rapidement l’attitude recherchée, sans avoir à diriger un hypothétique modèle. Le moulage lui permet ensuite de ne pas avoir à interpréter. Il y a toujours un tiers qui s’occupe d’interpréter le corps : c’est le temps*.
Ce rituel de l’empreinte de sa propre forme plastique, Gilles Barbier le pratique depuis de nombreuses années. C’est une performance physique, mais qui s’effectue dans le retrait, l’immobilité et la concentration. Quelque chose de la sculpture classique, de la pose. Ce temps long est littéralement présent dans la série des Still People (2013), où l’homme se présente dans une position assise, méditative, étrangement envahi par des mousses, du lichen, des champignons mycorhiziens, du lierre et d’autres plantes grimpantes. Une sculpture “romantique” que l’on interprétera à souhait, selon
sa dimension autobiographique d’hommage à la pratique elle-même, sa dimension métaphorique d’un homme comme retiré de son époque, ou encore symbolique : celle d’un être réconcilié qui laisserait pousser sur lui-même l’anarchie de ce qu’il a domestiqué et asservi depuis plusieurs siècles. Accompagné dans l’exposition de son double féminin, “ophélien”, on ne peut pas faire l’impasse sur les récits, grands ou petits qui ressurgissent ici : Adam et Eve bien sûr, la Belle au Bois Dormant, Tristan et Iseult pourquoi pas, puisqu’il s’agit tout de même de mettre ces personnages en relation, en tension, avec une immense table à victuailles. Gargantuesque festin hyperréaliste* trônant au centre de la galerie.
L’exposition présente en contrepoint une nouvelle série de dessins, qui sont à envisager comme des instantanés de ce que nous montrerait un périscope surgissant dans l’inconscient de l’artiste. Une sorte de journal de bord, une matière magmatique, soupe où bouillonnent différents morceaux qu’on retrouve plus ou moins développés dans l’espace des sculptures ou des installations. La plupart du temps, ils sont parcourus de bulles, de phylactères ou de sentences qui influencent la lecture de l’oeuvre, mais qui n’agissent jamais comme une explication. Peut-être plutôt un “monitoring” de l’activité de l’artiste, une fixation monochrome et figurative de la matière noire de l’inconscient, des images en guise de Ça, structurées comme un langage*. Gilles Barbier les envisage d’ailleurs comme un dispositif articulé, une sorte de grammaire dont les règles varient selon l’espace qui les accueille. Cette série, commencée en 2003, fait partie du terreau sur lequel pousse le travail* : un moule sans limite, en quelque sorte.
Gaël Charbau
* les phrases marquées d’un astérisque sont des citations de l’artiste
Among the main unexplored terrains, before the cosmos and the deep end of the oceans, our own depth is without a doubt the most unknown and farthest terrain there is. We are all, to some degree, geometricians, measurers, investigators of it, but only a small delegation is authorised to immerse itself in it and dig out a mysterious mud. We have entrusted the artists, these deep-sea divers of the unconscious, for over 30,000 years, the heavy burden to bring back to us, whenever they can, something from the depths of existence.
Gilles Barbier is not a beginner in the profession, he is more of a hero, one that is not afraid to tackle symbols, clichés and personal demons. Something vegetative We won’t be surprised therefore to find the artist’s body moulded again, using this popular and hyperrealistic technique he so adores. But why use his own body and risking a devouring narcissism? For Barbier, the answer is first and foremost a technical one and has to do with workshop practicalities: his own body, this aging entity, is always close at hand. He knows how to pose and form the right attitude, without having to direct a potential model. The mould allows him to elude interpretation. “There is always an outsider interpreting the body: time”*.
This ritual of keeping a print of his own plastic form, Gilles Barbier has been practicing it for years. It is a physical performance which is removed and requiring both immobility and concentration. It reminds us of classical sculpture. This stretched out time is literally represented in the Still People series (2013) in which the man is presented sitting down, meditating, strangely invaded by moss, lichen, ivy, mycorrhizal fungi and other climbing plants. A “romantic” sculpture that we can interpret in many ways, either an autobiographical homage to the practice itself, a metaphor of a man removed from his own time, or symbolic of a reconciled being allowing the anarchy he has domesticated and enslaved for centuries grow from his pores. Accompanied by his feminine and “Ophelian” counterpart, one cannot help but draw parallels with stories, classics or mundane, which immediately come to mind: Adam and Eve naturally, Sleeping Beauty, and even Tristan and Iseult. These characters are directly confronted and in tension with a huge table covered with food, a “Gargantuan hyperrealistic feast”* lying imposingly at the centre of the gallery.
The exhibition also presents a new series of drawings which are to be thought of as snapshots of what we would see through a periscope scrutinising the unconscious of the artist. A kind of journal, a magma where pieces of him are boiling, elements which we can find more or less developed in his sculptures and installations. Most of the time, they are accompanied by speech bubbles, phylacteries or maxims which influence the reading of the work without ever acting as explanations. They are perhaps a kind of monitoring of the artist’s activity, a monochrome and figurative fixation of the black matter forming the unconscious, images acting as the Freudian Id, “structured like a language”*. Gilles Barbier sees them as a grammar, the rules of which vary according to the space that hosts them. This series, started in 2003, is part of the “compost on which the work grows”* : a kind of mould without limit.
Gaël Charbau
* dixit the artist
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