Nicolas NICOLINI 

Dès le premier regard, c'est la construction du tableau qui interpelle, intrigue et interroge. Travaillant la peinture tel un sculpteur sa matière, Nicolas Nicolini élabore un travail pictural complexe évoquant la technique du collage et de l'installation. Chacune de ses toiles semble s'incarner à travers une scénographie de l'espace, tous les éléments trouvant minutieusement leur place dans la composition. Cet agencement des motifs se matérialise dans une juxtaposition des plans rappelant la technique médiévale de perspective via une superposition des scènes et un dégradé de couleurs, du plus foncé vers le plus clair pour l'horizon éloigné.
Jalonnant l'ensemble de son oeuvre, ce cadre accueille guration ou abstraction, telles des sculptures photographiées pour leur mise en valeur. Les motifs apparaissent en plein champ dans un jeu de formes et de couleurs, toutes à la fois vives, intrigantes et attrayantes. Sans jamais disparaitre de son oeuvre, ce vocabulaire évolue néanmoins considérablement en passant de l'intimité d'un intérieur au cadre urbain jusqu'à l'évocation de la nature présente dès le début dans l'oeuvre de Nicolas Nicolini et qui prend depuis plusieurs années une place centrale.
Ce glissement vers le naturel se matérialise par la représentation de structures en bois de complexité variable et à la fonction indéterminée. Cette indétermination renvoie à l'incapacité de notre civilisation à fournir une réponse cohérente aux enjeux environnementaux. Oscillant entre étendards évoquant un respect hypocrite de la nature et vains refuges de fortune, ces formes convoquent toute à la fois le passé et le futur par la nostalgie d'un temps révolu et pourtant sans cesse prolongé et projeté dans l'avenir. Réalisés par frottage de la peinture de l'arrière-plan à l'aide d'un bâton de peinture à l'huile, ces motifs sculptés invitent à ré échir sur notre rapport à la nature et notre futur inévitablement commun et incertain.

Thibaut Wauthion, 2023





(...) Nicolas Nicolini oeuvre résolument à rebours de ce principe d'unité que présuppose d'ordinaire la notion de discipline. Ainsi, sa peinture se décline dans une variété de matériaux et de moyens stylistiques : ici il adopte une facture réaliste, s'appliquant à rendre, à l'huile, le tombé d'un drapé, là une série d'acryliques abstraites montre une gestuelle expressionniste débridée. Et lorsque l'exécution s'avère similaire c'est alors sa palette qui diffère, allant d'un traitement achrome en strictes valeurs de gris jusqu'à une exagération des coloris telle que certaines toiles paraissent des études fauves de contrastes entre couleurs primaires et secondaires.
Dans le travail de Nicolini chaque série, chaque pièce semble formuler une proposition discursive, sapant le confort sclérosant de la répétition figée et mécanique du même. Refusant une histoire et un art standardisé, il s'attache à trouver des sujets de satire dans la culture visuelle populaire comme dans celle dite « haute » – telle cette jument muse, incarnation absurde autant qu'irrévérencieuse de la beauté idéale, moquant les fétichismes éculés de la peinture occidentale. Dans ses travaux récents, il aborde avec cette même légèreté teintée d'ironie la question du parergon, ce qui cadre, au propre comme au figuré. Il figure en arrière-fond de ses toiles des rideaux, subterfuge dénotant le caractère artificiel, théâtral de la représentation. Plus, il retrace volontiers un cadre à l'intérieur du tableau. Et ce geste de réduplication des limites matérielles de la peinture résume parfaitement sa pratique : peindre c'est cadrer, c'est-à-dire choisir, comme dans un ready-made. Pour Nicolini la peinture est bien cette chose mentale, non plus seulement tributaire du métier.(...)

Extrait d'un texte de Marion Delage de Luget, 2017





En 2011, lorsqu'il s'installe à Berlin, Nicolas Nicolini commence à peindre sur papier. Le format est unique : 70 x 100 cm. Le sujet va également le devenir. Il développe en effet une série intitulée Tas qui s'articule autour d'une silhouette informe, celle du tas de matières. Cette forme informe « n'a pas de nom ni d'origine, elle n'est pas personnalisable ou identifiable » et se prête aux projections et aux interprétations.(1) Les Tas sont aussi bien des montagnes (souvenirs des calanques), des grottes, des vides et des pleins. La série se poursuit encore aujourd'hui, elle participe à un travail d'épuisement et/ou de renouvellement d'un même sujet. L'artiste explique : « La peinture est un médium d'exploration, elle est le sujet de ma pratique ». Peu à peu, un processus s'établit, d'autres séries éclosent. Inspiré par l'oeuvre de David Hockney, Nicolas Nicolini engage un travail de collage pictural. Les paysages sont composés à partir d'éléments hétéroclites extraits de photographies. Il crée alors des décors et une scène pour une variété d'objets dont il réalise les portraits. Les objets, littéralement plaqués dans les décors, apparaissent comme des corps étrangers, qui, même s'ils nous sont connus et familiers, introduisent un sentiment de malaise. Une incongruité que l'artiste explore à travers une nouvelle réflexion : la réserve et le repentir. Il s'approprie deux traditions picturales pour les mettre en jeu dans ses compositions. Ainsi, les silhouettes ou les fantômes des sujets-objets sont révélés par leur absence ou bien par la juxtaposition des couches de peinture.
L'oeuvre de Nicolas Nicolini comporte un second niveau de lecture, aux considérations strictement picturales s'ajoute une vision critique. Des éléments liés aux loisirs et au divertissement sont souvent inscrits au coeur de ses compositions : une toile de tente, une piscine, un palmier, un bateau téléguidé, un tourniquet ou encore une balançoire. L'artiste parle de « romantisme contemporain », de scènes isolées évoquant une forme de nostalgie de vacances en famille où le rapport avec la nature est plus ou moins authentique. Si les objets semblent anodins, ils contiennent pourtant un propos sociologique. En creux, l'artiste esquisse un regard critique sur une société où les apparences priment sur la pensée et l'expérience. Le décor est le sujet. Les objets vecteurs d'artifice subsistent à la figure humaine. Les peintures soulignent une relation galvaudée non seulement à la nature, mais aussi aux notions de voyage, de vacances et de loisir. Les objets détournent l'expérience physique et sensorielle : le palmier est planté dans le jardin, il est arrosé par un système automatique ; la mer ou le lac sont réduits à l'échelle de la piscine ; le bateau est commandé par une manette. La relation à la nature est maîtrisée et contrainte à l'échelle du corps humain. Les objets participent à une duperie généralisée, celle de la théâtralisation de nos décors quotidiens.

Julie Crenn, 2015

(1) Citations extraites d'un entretien avec l'artiste, septembre 2015.