Damien BERTHIER 

EUREKA

" Eurêka" , la pièce de Damien Berthier présentée au Mac sonne, non sans un certain humour, comme une auto résolution de l´oeuvre.
La genèse des pièces de Damien Berthier se fait au gré de ses rencontres avec les objets, il glane des matériaux issus du quotidien, du langage ou de l´iconographie populaire qui forment à terme la matrice de son travail. Dans ces premières pièces vidéos comme " Les Encombrements ", " Bouh ", et " les Arrangements ", il manipule les ordures, les sacs et cartons poubelles ; leur donnant un ordre nouveau dans une tentative éphémère, parfois vaine d´échapper à leur condition de rebut. C´est ce point de rupture qui semble caractériser le travail de Damien Berthier : c´est précisément de ce moment critique de glissement vers un acte manqué que dépend la réalisation de l'oeuvre. L'artiste emprunte en effet volontiers au burlesque de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin, et ce notamment dans la réalisation de ses vidéos performances.
Si les médiums utilisés par Damien Berthier sont souvent la vidéo et la photographie, il n´en reste pas moins que c´est l´objet qui reste à l´initiative de l´oeuvre (par exemple l´ampoule à l'initiative d´" Eurêka "). La question centrale qui reste abordée est celle de la composition sculpturale ; La composition dans son double entendement, à savoir autant l'équilibre des formes de la sculpture (sens classique et pictural du terme) que l´action de composer elle même. La sculpture chez Damien Berthier est toujours performative.
Ainsi avec " Magic Bucket " et " Tour de magie " dans lesquels il incarne la fonction d´artiste démiurge à travers le rôle du magicien qui construit et reconstruit un empilement de sceaux ; L'artiste montre qu´il assume pleinement les procédés potaches de montage de la vidéo, ce qui n´enlève rien à l´exaltation que le spectateur ressent au regard des vidéos. Une fois de plus la notion d´équilibre et d´accumulation est au centre de l´oeuvre. Dans le travail de Damien Berthier la question du procédé étant assumée, l'oeuvre semble être sans cesse rejouée dans un triple mouvement Production-Consomation-Destruction, se situant dans l'espace temps infini et linéaire du devenir.
Le recyclage permanant et poétique du réel que pratique l'artiste par le choix de ses matériaux et leur mise en oeuvre, le fait s'inscrire directement dans la lignée du nouveau réalisme tel que l'avait défini Pierre Restany : un " recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire. " Ses accumulations de chaises, escabeaux, fauteuils, issus de sa série des " imbroglios ", participent des mêmes mécanismes sculpturaux et temporels. L'artiste, par cet enchevêtrement de structures angulaires s´équilibrant par la tension et compression de leurs éléments, va au point de rupture. La structure plie, s´affaisse pour s´assouplir dans une forme courbe (comme dans un grand nombre des accumulations d´Arman).

Les pièces " Jour de paye " et " Eureka " qui semblent faire suite à " Vernissage " et qui prennent la forme de panneaux lumineux au slogan publicitaire improbable, marquent un tournant esthétique dans la pratique de l´artiste. En effet, elles se distinguent de cette dernière par la qualité des moyens employés. Les pièces revêtent un caractère plus maniériste, plus pop que les précédentes. Si la mise en tension de l´oeuvre ne se fait plus comme avec les accumulations, de manière structurelle ; Le point de rupture de l´équilibre est réalisé désormais dans un va et viens entre le sens usuel du vocabulaire utilisé (Vernissage, Jour de paye, Eurêka), et sa mise en forme contre nature. Ainsi l´annonce " vernissage " menace de s´effacer à l´usage des gobelets, " jour de paye " tire son absurdité de la permanence de son clignotement, et " Eurêka ", interjection lumineuse, pose l´Idée comme Corps préexistant et persistant de l´oeuvre. Au travers de cette oscillation oeuvre-idée, Damien Berthier propose une mise en abîme de la question narcissique et tautologique de l´art conceptuel qui ne se veut pas plus critique que résolutive. Il réalise une mise en oeuvre de la fascination et de l´ivresse que procure un état de rupture oscillant, soit la proposition artistique de la question de la perception d´un état déjà posée par la physique quantique et l´expérience non réalisable du chat de Schrödinger.

Florent Joliot, texte paru dans le Journal Sous-Officiel n°35, hiver 2008