Jean-Baptiste GANNE 

Jean-Baptiste Ganne « Ma propre faim. »
Entretien avec Sophie Lapalu à l'occasion de l'exposition Relatives - Acte II à Barjols, août 2011.


Sophie Lapalu : Pourquoi transcrire Dialogue entre un prêtre et un moribond, écrit en prison par le marquis de Sade en 1782, en morse lumineux ? Que dit la forme du fond, sachant qu'il s'agit d'un essai philosophique dans lequel l'auteur affirme son athéisme? De plus, le morse est considéré comme le précurseur des communications numériques, et le morse lumineux est encore utilisé aujourd'hui par les alpinistes... Or cette pièce est "illisible" pour le spectateur : elle dure 10h, et c'est un code que presque personne ne maitrise... Cela est forcément déceptif. Est-ce à dire que le dialogue entre un prêtre et un moribond est illisible aujourd'hui? intraduisible? incompréhensible...? 

Jean-Baptiste Ganne : Tout d'abord, le texte de Sade est un texte magnifique, un des plus beaux textes politiques de l'auteur et probablement l'attaque la plus virulente contre le système idéologique religieux qui ait pu être écrit au dix-huitième siècle. À cela s'ajoute l'omniprésence aujourd'hui de la question religieuse dans les systèmes idéologiques, ce qui redonne à ce texte une très grande force. Et puis, je me dois de l'avouer, j'ai pris plaisir à adapter en lumières un grand texte de la philosophie des Lumières. Comme tu le dis, le texte en soit est illisible pour le spectateur, et seul le titre permet d'en avoir une idée. Mais ce que perçoit le spectateur, c'est effectivement que quelque chose se dit, quelque chose s'échange, il comprend qu'il s'agit d'un code et que justement il ne le comprend pas. C'est donc comme si le texte restait en deçà, tout en affirmant son existence. Je place donc le spectateur dans un genre de situation première, voire primaire, qui précéderait l'invention de l'écriture, aux sources même de la représentation donc. Il est un corps parcourant un espace où il y a de la représentation, en cela même je répète ce qu'affirme Sade, dans ce texte comme en d'autres, c'est à dire la prédominance du corps.


S.L. : Est-ce que cela signifie que l'expérience esthétique du spectateur – un corps parmi ces lumières qui clignotent dans un espace à parcourir- prime ?

J.-B.G.:Pas nécessairement, mais quoiqu'il en soit, l'expérience esthétique est toujours celle d'un corps. Il me semble que l'une des spécificité de la perception de l'art contemporain, c'est qu'il s'agit d' une expérience qui se produit dans le déplacement et dans l'attention à ses propres percepts. Cela en constitue sa singularité vis à vis des formes d'art. Dans un espace d'art, le spectateur n'est pas passif mais en interaction / interperception (si le mot existe) avec les éléments qui constituent l'espace, et son corps est le centre de cette expérience. 
 
S.L.: J'ai l'impression que cette notion de traduction d'un texte vers une expérience esthétique physique, vers une confrontation de soi avec le monde au travers du corps, est souvent en jeu dans ton travail : illustrer le Capital de Marx procède un peu de cette même « logique », peut-être également Cosa Mentale, où la phrase de Leonard de Vinci « la Pittura è cosa mentale » se retrouve inscrite sur des bouteilles de vin d'orange, non ?

J.-B.G.: J'utilise souvent comme métaphore de la pratique de l'art, cette fiction de Borgès imaginant un empire où les cartographes auraient pris une telle importance que leur carte, à l'échelle un, aurait recouvert le monde. Une oeuvre d'art s'inscrit dans le monde à l'échelle un, elle y prend place et le recouvre. Elle est donc à la fois une présentation (une présence) et une représentation. En disant cela, j'induis une complexité à l'oeuvre, à la fois partie du monde et monde dans le monde. 
Dans Le Capital Illustré, c'est d'une manière assez simple, chaque photographie est une image du monde, mais elle est aussi l'illustration d'un chapitre du Capital de Marx, texte qui justement est une description si précise du monde occidental à la fin du dix-neuvième siècle, qu'il le recouvre. C'est aussi un peu ce qui se joue dans cette histoire de Cosa Mentale. Je me trouve à la Villa Médicis, entouré d'orangers croulant d'orange amères, j'ai un atelier, je ne sais pas trop quoi y faire. Je fais donc comme ma grand-mère provençale, je mets des oranges à macérer dans du vin. Tous les jours je dois me rendre à l'atelier pour remuer, sinon le vin tourne. Puis, après un peu plus d'un mois de macération, j'organise un vernissage, où "l'oeuvre" se boit, et finalement l'oeuvre c'est l'ivresse des corps, c'est une chose mentale. Mais cette chose mentale, s'incarne, non plus dans la peinture comme chez Léonard, mais dans les corps des participants à cet apéritif.
 
S.L.: Le corps me semble fondamental dans ta pratique : que ce soit celui du spectateur (saoûl dans Cosa mentale, promeneur au milieu de fantômes dans Rom Dance floor), de « participants » (danseurs dans Nobody Needs French Theory), le tien (The Cookist), ceux que tu observes et représentes (Prolégomènes, Les images faibles).

J.-B.G.: L'expérience que j'ai pu faire en mettant en jeu mon propre corps cuisinant avec The Cookist, a été déterminante dans mon parcours. Non seulement, je prenais acte que j'étais un corps produisant une représentation, et non pas seulement un esprit produisant une image. Et ce faisant, il en découle la place de l'autre, le spectateur, qui est nécessairement lui aussi un corps parcourant l'espace où il y a des représentations. Au point que, outre cette interaction avec la représentation, il en fait partie. C'est le cas des danseurs de Tektonik dans Nobody Needs French Theory, mais du coup également des spectateurs de ces danseurs. Les danseurs, tout à leur bulle et à leur ipod, renvoient la même image aux spectateurs-vernissseurs, tout à leurs verres et à leurs conversations. L'oeuvre s'immisce très précisément dans cet aller-retour entre l'un et l'autre, un peu comme dans cette histoire de stade du miroir, chez Lacan je crois, où l'image renvoyée par le miroir permet à l'enfant d'unifier son corps : la représentation redit le spectateur comme corps percevant.

S.L.: Notre entretien a lieu car tu as été invité à réaliser une pièce dans l'ancienne tannerie réhabilitée de Barjols. Quels sont les enjeux pour toi d'une pièce in situ ?

J.-B.G.: Toute pièce prend place dans un contexte, j'aurais tendance à penser qu'il n'y a pas d'oeuvre qui ne soit pas in situ. C'est peut-être donc plus d'une responsabilité que d'un enjeu dont il faut parler. L'artiste en proposant d'ajouter un objet au monde a une responsabilité immense. C'est en cela que son geste se doit d'être extrêmement précis. L'acte créatif porte une forme d'arrogance vis à vis du monde (il serait insuffisant) dont le corollaire devrait être une déférence au site où il prend forme.

S.L.: Mali Spomenik Za Sabana est une installation lumineuse et sonore, en hommage au chanteur gitan Saban Bajramovic décédé il y a quelques années. Elle fait bien évidemment écho à la situation des "gens du voyage" en France et la stigmatisation dont ils font preuve, doublée d'amalgames et d'étouffement de l'affaire Woerth en 2010... Or le contexte, c'est bien entendu également le contexte socio politique ; est ce ainsi qu'il faut entendre la responsabilité de l'artiste ?

J.-B.G.: Dans le cas de cette pièce en particulier, oui, c'est une référence directe au contexte social et politique, en l'occurrence, dans sa première version plus monumentale (Rom Dance Floor), la situation des Roms en Italie, puis en France ; mais pas uniquement, j'entends également cette responsabilité dans un sens métaphysique, pourquoi ajouter des objets au monde ?

S.L. : Et donc, pourquoi dans ce cas?

J.-B.G.: Cela est sous-tendu par une réflexion sur la question du Travail, que je refuse comme labeur, et n'utilise que comme mesure physique du déplacement, W. Si travail j'ai, c'est dans le déplacement des objets ou des gestes. A Barjols, j'ai installé une lampe récupérée sur la façade en haut d'un escalier (dernier espace de l'exposition). De temps à autre, de manière aléatoire, le chant, l'incantation presque, en langue Rromani d'un gitan ivre emplit l'espace et cette lampe clignote à une dizaine de centimètres du sol en fonction de l'intensité de sa voix ou de ses claquements de mains. Elle bloque également le passage et force la contemplation. Je ne crois pas avoir ajouté grand chose au monde, j'ai juste déplacé des objets, qu'il s'agisse de la lampe depuis la façade vers l'intérieur, ou bien le graffiti qui passe d'acte de recouvrement, d'effacement de la parole, au statut de peinture abstraite dans le cadre d'une exposition.

S.L. : Comme des ponctions, des prélèvements... Pierre Alféri m'avait fait cette remarque, que l'art dit "engagé" se change souvent en "communication, en discours édifiant, en kitch didactique. Il croit devoir abdiquer toute ambition formelle". Or tu échappes à cette disposition, car tu as une ambition formelle revendiquée, ouverte et plurielle.

J.-B.G.: Ce que tu dis, via Pierre Alféri, de l'art "engagé" me semble très juste (cela pourrait même être élargi à nombre de pratiques de l'art de marché), il s'agit en effet pour moi d'échapper à la terrible simplification qui consiste non à dire la complexité, ce qui est le propre de l'activité de représenter, mais à rendre univoque, c'est à dire à simplifier.

S.L. : Jacques Rancière, dans Le spectateur émancipé, suggère que  l'efficacité esthétique réside dans la « suspension de tout rapport direct entre la production des formes de l'art et la production d'un effet déterminé sur un public déterminé ».  Justement, quand tu refuses d'offrir un discours univoque, de simplifier, tu ne cherches pas à produire un « effet », à « instruire » le spectateur. A Barjols, il me semble que c'est précisément ce qui est en jeu. Pourquoi un graff qui voyage ? Où est le vrai du faux ? Qui est Romeo ? Quelle dispute a provoqué le bris des céramiques ...?

J.-B.G.: Il me semble qu'une oeuvre intéressante comporte toujours plusieurs niveaux de lecture, du plus simple, qu'un jeune enfant peut formuler, au plus complexe qui serait par exemple comment une oeuvre se dit comme représentation et porte en elle même sa propre critique. Tous ces niveaux de lecture sont des niveaux de discours différents, et donc des voix différentes et c'est ce qui produit un énoncé plurivoque. Je ne sais pas comment produire une forme de conscience, mais le passage d'un niveau à l'autre de lecture permet de ne pas simplifier et donc enrichit notre appréhension du monde. J'ajoute que c'est là le grand plaisir du spectateur d'oeuvres que je suis. Le graffiti à Barjols est la reproduction à l'identique d'un graffiti photographié à Marseille au Panier. Il s'agissait d'un gribouillage qui recouvrait une inscription injurieuse. Le graffeur a donc juste barré l'inscription à l'aide d'une bombe bleue. Dans le cadre de la l'ancienne tannerie à Barjols, les salles d'exposition regorgent de graffitis et tags, avec des inscriptions signifiantes, reliques de l'histoire du bâtiment et de ses occupations successives, celles des hommes qui ont travaillé là, à la craie surtout, mais aussi celles d'un graffeur dont le blaze est "Romeo" ou "Rom" parfois. J'ai donc choisi de réaliser un graffiti non signifiant, abstrait presque, sur une cimaise très propre. Le dialogue s'instaure alors naturellement entre le signe abstrait et les éléments “historiques” du bâtiment. Pour surligner le geste, je l'ai refait une deuxième fois, mais à la craie bleue et en plus petit dans la salle suivante. Le second est fake car il est une référence à la première reproduction et un clin d'oeil à Cy Twombly qui vient de disparaître.

S.L. : « Enrichir notre appréhension du monde »,  former, re-former ou transformer notre vision comme compréhension de ce qui nous entoure... Ainsi, pour toi l'art n'est pas en lui-même sa propre fin ; tu cherches en lui une possibilité de « vie meilleure » ?

J.-B.G.: L'art serait au moins ma propre faim. Au delà du jeu de mots, je vois la pratique de l'art comme la préparation culinaire : les odeurs émanant d'une cuisine excitent les papilles et préparent l'appétit, notre désir d'ingestion ne fait qu'augmenter notre plaisir à venir. N'est-ce pas le même rapport entre l'art et la vie : un jeu entre le désir et le plaisir ? En fait, c'est très exactement ce qu'a mis en pratique Robert Filliou.

S.L. : Qu'est ce que tu entends par une oeuvre « qui se dit  comme représentation » ? Si la représentation c'est l'action de rendre quelque chose présent à quelqu'un en montrant, en faisant savoir, alors l'oeuvre comme représentation est active. J'aime bien cette idée ; par l'absence tu « permettrais de rendre quelque chose présent »...

J.-B.G.: Oui, je suis d'accord, l'oeuvre est active, elle prend place au milieu de nous mais elle porte aussi une déception. Je crois que c'est l'héritage de la pensée romantique, une oeuvre se dit comme représentation, ne se cache donc pas d'être une représentation tout en assumant pleinement sa présence. Il s'agit de recouvrir le monde, non de le singer. Le cache-cache entre l'absence et la présence est au coeur même de la notion de représentation, en redisant quelque chose, on en dit surtout son absence. Là encore, c'est une question d'appétit et de désir, la formulation d'une absence, c'est comme donner une présence à quelque chose qui manque.


Entretien Jean Baptiste Ganne, in Particules n°24 avril/mai 2009

ENVIE DE MIDI EN ATTENDANT LA FORCE DE L'ART: UN ENTRETIEN ENTRE PARIS ET NICE AVEC JEAN BAPTISTE GANNE AUTOUR DE LA CONCEPTION MÉDITERRANÉENNE DU TRAVAIL COMME UN PLAT QU'ON LAISSE CUISINER. QUAND ON LUI DEMANDE CE QU'UN ARTISTE FRANÇAIS PEUT FAIRE POUR LE PROLÉTARIAT EN PLEINE CRISE FINANCIÈRE, IL RÉPOND QUE TOUT ÇA, FINALEMENT, «C'EST DE LA DAUBE".
LA RECETTE? 1 DOSE DE MARX, 1 DOSE DE CERVANTES, 1 CUILLÈRE À SOUPE DE NANNI MORETTI ET QUELQUES BRINS DE ROBERT FILLIOU.

Alessandra Sandrolini : Maintenant que la crise financière est sur les lèvres de tous, et qu'elle touche l'art contemporain, ta série de photos sur Le Capital de Marx (Le Capital Illustré), qui date de 1998-2000, est exposée au Grand Palais. Ces photos révèlent notre société dans tout son manque de profondeur et son obscène banalité... On aurait envie d'y voir, à la lumière des événements actuels, la farce du nouveau capitalisme financier en opposition avec l'époque mythique d'un capitalisme de la production. D'ailleurs, en glose de ton travail, tu cites souvent cette phrase de Marx: "Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde comme farce». J'aime beaucoup cette phrase... Bref, que fais-tu, toi, "fucking french artist", pour nous sortir de cette crise ?

Jean-Baptiste Ganne : Rien. Je ne fais rien pour nous sortir de cette crise, mais hier j'ai fait un risotto aux tripes. Avant même cette crise, je ne jouais pas dans la cour du marché de l'art d'avant-garde. Lorsque j'ai dû ouvrir mon atelier à la Rijksakademie d'Amsterdam (c'est contractuel), je me suis enfermé dans l'atelier pour cuisiner pendant six jours de la daube provençale. Sur la porte j'avais indiqué «On Strike (Cooking)», c'était une manière de figurer un genre de grève de la production d'objets artistiques et une réponse aux répétitives questions «What are you doing? What is your work?». Une manière de ne pas produire mais de faire produire. La daube se cuit toute seule, elle n'a besoin que de temps. Et c'est l'odeur, celle qui engendre l'appétence et qui provoque le retour de souvenirs, qui était l'oeuvre. Ce n'était pas non plus une proposition «relationnelle» puisque je n'ai pas partagé cette nourriture. La critique radicale de la notion de travail par des marxiens comme Anselm Jappe ou le groupe Krisis constitue une vraie remise en cause du capitalisme contemporain, et a, d'une certaine manière, confirmé mes intuitions sur les modalités de rapport au travail propre à la Méditerranée (l'Italie, la Dalmatie ou la Provence pour citer des lieux qui me sont familiers). La Méditerranée porte une conception du travail comme processus long. La cuisson de la daube, la cuisson au long cours, pourrait en être un exemple, le travail se fait seul, dans la durée. Le plat gagne en saveur et en finesse au fur et à mesure des cuissons et des re-cuissons. Le «Far Niente» n'est pas le «Ne travaillez jamais» situationniste mais plutôt un «Laissons les choses se faire». Je n'utilise d'ailleurs pas le terme de «Travail» pour caractériser mon activité d'artiste ou uniquement dans le sens physique, c'est-à-dire la mesure du déplacement d'un corps, le W. Il m'arrive de déplacer des objets.


A.S.: Du risotto aux tripes? Ça a l'air pas mal. Moi j'aime bien faire le risotto aux cèpes, mais pour les amis je fais plus souvent le "ragù » (sauce bolognaise). Ça aussi ça se fait tout seul, il faut juste attendre 6 heures. Entre-temps tu peux faire ce que tu veux ou justement ne rien faire du tout. Toutefois à la Rijksakademie l'oeuvre n'était pas seulement le parfum de cette daube idéologique qui fait rêver. Pendant que tu faisais la cuisine tu te livrais à une sorte de logorrhée schizophrène sur des sujets comme l'art, la révolution..., cette oscillation émotionnelle entre résidu utopique, tentation au despotisme -si je peux le dire ainsi- et sentiment de désarroi ou d'échec de l'individu au sein de la communauté (humaine, sociale, artistique) me fait songer à des communistes déçus tels Nanni Moretti ou Marco Ferreri. Leur engagement politique s'exprime par un rejet de l'idéalisme et le refuge dans des formes de vie simples et élémentaires, dans des obsessions comme celle de l'amour, ou de la nourriture... Peut-on dire que c'est par ton côté méditerranéen que tu te rapproches de leur amertume, de leur cynisme, de leur poésie? (je songe à la mélancolie du magnétophone et de sa musique de tango de Benigni dans Pipicacadodo de Ferreri...)

J.-B.G.: L'idée plus générale de la daube d'Amsterdam, The Cookist, pour redire le néologisme qui en fut le titre, avait été d'organiser un séminaire informel sur la notion de travail, séminaire où, par timidité, je me suis trouvé être le seul intervenant. J'ai donc soliloqué en répétant les questions qui avaient pu m'être posées sur ma pratique de l'art. C'est une logorrhée qui m'échappe et qui provoque des accidents entre différentes questions, comme «qu'est-ce que c'est que ce travail», «qu'est-ce que tu fais pour les prolétariens», «qu'est-ce qu'être un artiste français» et la réponse à tout ça «c'est de la daube», comme on dit en français. Je mélange un peu tout à la manière des épices dans la confiture de viande. La schizophrénie que tu évoques est ici à comprendre comme forme, car cela serait la seule alternative au capitalisme dans l'hypothèse de Deleuze et Guattari, elle est formalisée et cuisinée (car de toute évidence, la schizophrénie comme maladie réelle n'est pas un choix). Il y a aussi beaucoup de la flagellation coupable du catholicisme dans la présence réelle du corps cuisinant et psalmodiant. Donc pour répondre à ta question, il s'agit de définir depuis où on parle, et moi je parle depuis une culture catholique et méditerranéenne, qui a échoué dans toutes les formes de révolutions et où l'échec même est devenu la forme de cette culture (à l'inverse des américains par exemple), ce qui se dit c'est l'impossibilité de la révolution ou l'incommunicabilité de l'amour. Et c'est ce que porte l'Occident depuis le romantisme, Byron meurt sans libérer la Grèce et Delacroix peint les femmes d'Alger sans pouvoir accéder à leur intimité. L'oeuvre portant sa propre critique, elle est en adéquation avec l'expression de cette impossibilité. C'est donc bien quelque chose qui se situe entre le ragù de trois jours napolitain et les mots de Moretti dans Palombella Rossa qui, devant tirer un penalty dans le bassin de Water-polo, ne cesse de répéter «Che cosa significa, oggi, essere comunisti ?»

A.S.: Est-ce que c'est le cas de Favola, -ton exposition presque invisible, avec ces déclarations d'amour en italien écrites à la bombe, ton sur ton, sur les cimaises -et de Esperanza- boîte alimentée par un panneau solaire qui répète continuellement une musique de tango? Elles évoquent l'impossibilité de la révolution et l'incommunicabilité de l'amour. Et pourtant, il y a toujours cette urgence de l'expression émotionnelle, souvent par des formes très élémentaires et primitives du langage... Quel est donc ton rapport au langage et au texte?

J.-B.G.: Oui les Favole et la boite Esperanza Eterna évoquent tout à fait cette impossibilité du dire, et, peut-être aussi, quelque chose de ce que Benjamin appelle le caractère destructif, c'est à dire cette expérience de la beauté qui se constitue comme beauté dans sa disparition. Dans cette tension entre l'apparaître et le disparaître pour les graffiti ou dans cette dialectique entre le chant de l'espoir amoureux et son enfermement dans la boîte (comme celle de Pandore). L'expression du désir le réduit et l'enferme. J'aime beaucoup que tu parles de formes élémentaires et primitives, comme si elles venaient de quelque chose qui serait avant le prédicat, quelque chose qui serait en-deçà de la formulation. D'une certaine manière, la pratique de l'art est une forme plus rustre que celle de l'écrire. C'est probablement pour ça que j'ai souvent besoin de «ré-écrire» mes pièces en les liant à des textes qui ne sont ni évocatifs, ni descriptifs, mais qui prennent la place des communiqués de presse (même si pour être tout à fait juste, c'est une manière de prendre le contre-pied de l'idéologie dominante de la communication et de la terrible simplification qui en résulte). La dialectique entre l'image et le texte est ce qui est au cour du Capital Illustré que tu as évoqué, la table des matières du Capital y joue comme représentation première à partir de laquelle se construit une représentation du monde comme capital devenu images (donc après Marx et après Debord). L'image est un pré-texte, même si elle vient parfois après.


A S.: On pourrait évoquer aussi ton installation El lngenioso Hidàlgo Don Quijote de la Mancha, car elle fonctionne de façon littérale tout en provoquant une disparition du texte de Cervantès. La relecture en code morse du livre par une lampe rouge dans ton studio d'Amsterdam est aussi il me semble une réactivation directe du mythe du rêveur errant, car tu pouvais ainsi abandonner l'atelier et te promener dans la ville. Tu laissais donc l'oeuvre travailler pour toi... Similairement, lorsqu'à la Villa Médicis on t'a donné un budget pour une production, tu l'a changé en pièces de dix centimes que tu as jetées au sol de la citerne romaine remplie d'eau pluviale (Senza Titolo (alla That Glitters is gold). Ça me fait penser à l'opération de Maria Eichhorn (pièce récemment exposée dans la rétrospective 'Vides' au Centre Pompidou) qui a utilisé le budget de son exposition à la restauration du bâtiment de la Kunsthalle de Berne. Sauf que toi «tu es reparti avec le pognon". Putasserie ou homéopathie?

J.-B.G.: C'est tout à fait ce qui était en jeu de manière première dans la pièce du Quijote. J'avais donc entièrement vidé mon atelier, n'y laissant qu'une lampe rouge, l'ensemble, les murs, le sol, le plafond devenant donc l'amplificateur de cette lumière. C'est l'atelier lui-même qui travaillait et non plus l'artiste. Et donc oui je pouvais errer dans la ville. L'architecture se fait outil du langage et non plus le réceptacle de ce qui se montre.
La proposition de Rome, exposer donc le budget de production de l'oeuvre comme oeuvre, a commencé comme une provocation, mais la beauté de la pièce (des pièces, même) m'a totalement échappé et c'est le signe de ce caractère homéopathique que tu évoques. L'artiste pose un geste radical au sein de l'institution, et il devient de fait l'outil homéopathique qui permet d'introduire une quantité minime de contestation et de critique dans le corps social afin que celui-ci ne s'en porte que mieux. C'est assez triste et c'est très lié à l'idée de putasserie, les artistes globalement se prostituent, symboliquement, que ce soit au sein du marché de l'art ou des structures institutionnelles. Quant à dire si, coquillard, je suis reparti avec le pognon, il faut savoir ce qu'il en est en représentation comme en philosophie hégélienne: le faux est un moment du vrai. Et inversement.
Ce qui est commun aux deux pièces, c'est l'échelle, c'est-à-dire l'échelle 1. Dans une fiction, Borgès imagine un empire où la cartographie aurait pris une telle importance, que les cartographes en seraient arrivés à produire des cartes à l'échelle 1, qui donc, représentant le monde, en même temps le recouvrirait. C'est le cas dans ces deux pièces: l'une par la durée, la lecture continue du roman de l'illusion, à la vitesse même de la vie qui se déroule à ses pieds, et l'autre par le recouvrement réel du sol par l'argent qui aurait du être utilisé pour « produire» une oeuvre. J'ai l'impression en disant cela que ce recouvrement poétique du monde, très proche de Robert Filliou et des principes d'économie poétique, permet d'aller contre la terrible simplification, en redisant le monde comme complexe. C'est probablement tout l'enjeu d'une oeuvre d'art que de, non pas seulement représenter une partie du monde, mais d'y prendre place en le recouvrant, tout en produisant un monde en soi.




Samoupravljanje

Si Ben Vautier n'avait pas jeté cette boite à la mer, si avec dieu, écrit en toute lettre, comme à son image de diseur-faiseur - le Verbe-, il n'avait pas jeté à la mer l'idée même de l'art, nous n'en serions peut-être pas là. Massacre des illusions. Ce n'est pas le dieu déjà mort que l'on a noyé, mais l'art des déjà vivants-morts. Pas une épiphanie, ou alors une bien trempée. Il n'y plus de prêtre, il n'y a plus de moribond. Il n'y a même plus de dialogue : chacun soliloque en son coin. On peut encore vouloir croire au grand pique-nique. À la réconciliation. À la triplement sainte communauté des artistes, comme l'on voudrait croire encore au grand soir quand il n'y a que des petits matins. Zivjelo Bratstvo i Jedinstvo (1) ! La communauté des artistes ferait corps contre le grand extérieur, c'est elle qui maintiendrait la tradition, elle qui perpétuerait la possibilité de la représentation, elle qui, en tout lieu, en tout moment, continuerait à faire contre le non-faire ou bien même à défaire contre le surfaire (d'argent). Qui encore mangerait et boirait, et ferait du manger et du boire des formes même de ce défaire. Ou bien même qui volerait aux moribonds leurs non-faire pour devenir auteur de leurs bassesses.
Et voilà la procession de premiers communiants, prêts à salir leurs aubes pour satisfaire à l'appétit du grand prédicateur. Ne savent-ils pas que l'Aube est déjà salie, qu'elle n'a plus ses doigts de rose, que rien n'est plus signifiant, que rien n'est plus signifié. Il ne nous reste même pas la forme de l'insignifiance, elle n'en dira pas plus. Elle n'a jamais eu de langage, la belle muette, elle est en en-deça, elle est avant même le prédicat. Dans une nuit pas même noire, juste avant cette Aube sans rosée, les voilà, tous ces vivants-morts, abstraits ou concrets, en tout cas gesticulant, et toujours prêts à en dire. Ça parle, toujours juste à côté. “Ça devrait être un peu plus comme-ci” ou bien “un peu plus comme ça”. En tout cas juste à côté. Bien-sûr, plus de territoire, rien que des liens. Et puis des pique-niques, toujours et encore des pique-niques.
La République géniale, au fond, pourquoi pas. Mais pas celles des soliloqueurs, celles des objets eux-mêmes. Et puis, pas la République, non. Il n'y a plus de représentants et plus de représentés, non, il y a un vendeur et un acheteur. Alors l'autogestion, celles des objets eux-mêmes, celle des significations elles-mêmes. Tout ça dans une maison vide, oui, d'accord. Une maison si vide que je n'en aurai même pas le souvenir. Une villa vidée de ses vivants-morts, de ses soliloqueurs. Pas de trace, mais ce qu'il y avait avant le prédicat. Samoupravljanje (2) , c'est pas maintenant, c'est juste après, quand nous aurons quittés la maison, qu'elle sera vide enfin, que les choses seront libérées, qu'elles pourront s'organiser, qu'enfin il n'y aura plus de question de sens et de non-sens, qu'enfin sera achevée la valse des vivants-morts. Enfin oui, Smrt fasizmu, Sloboda Narodu ! (3), parce qu'il n'y a plus de signifiants et plus de signifiés, même pas la mémoire de cette danse, non, plus rien qu'un vendeur et un acheteur. Et qu'enfin nous serons en deça, nous serons juste avant la prédication, alors que nous ne pouvons même pas le formuler, voilà donc qu'enfin “une rose est une rose est une rose”. De la liturgie et de la procession, de la danse de Saint-Guy, il ne reste plus rien, puis le premier prédicat, celui de l'acheteur au vendeur : “Combien ? ”. Et tout à recommencer.

(1). Vive la fraternité et l'unité !
(2). Autogestion !
(3). Mort au fascisme, Liberté au peuple !


Bol (ljubav je), août 2004




« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant »
( Charles Baudelaire, à une passante )


Positionnement. C'est depuis le comptoir que Baudelaire traque la beauté. À cela rien d'incongru, mais une réponse présciente à l'exigence de positionnement. La perception ivre du monde construit parfois des représentations plus justes, quoique à l'envers. L'ivresse et le décalage qu'elle induit, la dérive et le désir qu'elle révéle, sont les moteurs de cette infidélité que l'on fait au monde en se choisissant artiste.

Va-et-vient. Photographique ou non, je m'approprie des images pour les détourner, je les prends pour les investir, je les répète pour les trahir. Extirper une image de son contexte pour la faire mentir ailleurs ou introduire une image dans une grille pour la rendre bavarde permettent cette oscillation du sens, qui paradoxalement le construit.

Renversement. Menant autant que mené, à l'image du précaire équilibre d'un danseur de tango, basculant l'objet de son désir -révolutionnaire au premier sens du terme- j'essaye de profiter de toutes les prises qu'offre la photographie. L'attrapant par tous ses membres, et la retournant tout à fait, il s'agit de faire apparaître non son artificialité mais que en cette représentation également le vrai est un moment du faux.

Jean-Baptiste Ganne, 1999




Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands évènements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce.

Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte



Nous avons un problème concernant le rapport étroit entre le capitalisme et la psychanalyse d'une part, entre les mouvements révolutionnaires et la schizo-analyse d'autre part. Paranoïa capitaliste et schizophrénie révolutionnaire, nous pouvons parler ainsi, parce que nous ne partons pas d'un sens psychiatrique de ce mot, au contraire nous partons de leurs déterminations sociales et politiques, dont découle seulement leur application psychiatrique dans certaines conditions. La schizophrénie n'a qu'un but, que la machine révolutionnaire, la machine artistique, la machine analytique deviennent pièces et rouages les uns des autres. Encore une fois, si l'on considère le délire, il nous semble qu'il a deux pôles, un pôle paranoïaque fasciste et un pôle schizo-révolutionnaire. Il ne cesse d'osciller entre ces pôles. C'est cela qui nous intéresse : la schize révolutionnaire par opposition au signifiant despotique en tout cas, ce n'est pas la peine de protester d'avance contre les contresens, on ne peut pas les prévoir, pas plus que lutter contre, une fois qu'ils sont faits. Vaut mieux faire autre chose, travailler avec ceux qui vont dans le même sens. Quant à être responsable ou irresponsable, nous ne connaissons pas ces notions-là, c'est des notions de police ou de psychiatre de tribunal.

Gilles Deleuze / Felix Guattari, extrait d'un entretien avec C. Backès-Clément, mars 1972

Samoupravljanje

If Ben Vautier had not thrown this box into the sea, if with God, written on it letter by letter, in His guise as a speaker-doer ­ the Word - if he hadn't thrown into the sea the very idea of Art, perhaps we would not be here. Massacre of illusions. It is not the God already dead who has been drowned, but the art of those who are already dead-living. Not an epiphany or if so one already soaked. There are no more priests, there are no more moribunds. There is no longer any dialogue. Everyone soliloquizes alone. We could still want to believe in a great picnic. In reconciliation. In the threefold saintliness of the world of artists, where one would like to believe in the eve of the great day when there are only twilight zones. Zivjelo Bratstvo i Jedinstvo (1) ! The artist community would unite against the rest of the world, would maintain tradition, would perpetuate the possibility of representation and above all would work against ‘doing nothing' or equally rebel against those who overvalue (money). Who would continue to eat and drink, yet make eating and drinking ways to defeat it. Or who would even steal from the zombies their inactivity to become the authors of their baseness.
And here comes the procession of the first communicants, ready to soil their albs, to satisfy the appetite of the great preacher. Do they not know that the Dawn is already soiled, that its fingers are no longer pink, that nothing is significant that nothing is signified any more. We have no form of insignificance left, it will say nothing any more. It never had a language, the beautiful mute, it is out of line, it is before the Predicate. In a night not quite dark, just before the dewless Dawn, they are here, all those dead-living, abstract or concrete, all gesticulating and always ready to talk about it. This talking, is always just beside the point. “It should be a little more like this” or perhaps “a little more like that”. But in every case, always just beside the point. But to be sure no more territory, nothing but links. And then the picnics, time and time again the picnics.
The genial Republic, but basically why not. But not that of the soliloquizers, or those objects themselves. And then, not the Republic, oh no ! There are no more representatives or representations, no, there is a seller and a buyer. Then the self-management of objects of themselves and of meanings of themselves. And all of this in an empty house, yes okay. A house so empty that I would have no memory of it. A house empty of its dead-living of its dreamers. Not a trace of that which was there before, the Predicate. Samoupravljanje (2) is not of the present, but just after, when we will all have left the house, when it will be finally empty, that all will be free, that they will be able to organise themselves, so that finally there will be no question of sense or nonsense, that finally the waltz of the dead-living will be over. Yes at last, Smrt fasizmu, Sloboda Narodu ! (3) because there are no more signifiers and no more signified, not even the memory of this dance, no, nothing other than a seller and a buyer. And at last we will be in line, we will be just before the Predicate, even if we cannot understand it, here at last “a rose is a rose is a rose”. From the liturgy and of the procession, from Saint Guy's dance, nothing remains, than the first Predicate, that of the buyer and the seller : “How much ?”. And everything has to go back to the beginning.


(1). Long live brotherhood and unity !
(2). Self-management !
(3). Death to fascism, Freedom for the people !

Bol (ljubav je), August 2004


Samoupravljanje

Se Ben Vautier non avesse buttato a mare questa scatola, se insieme a Dio, scritto a grandi lettere, come a sua immagine di “dicitore-fattore” ­ il Verbo ­, non avesse buttato a mare l'idea stessa dell'arte, forse non saremmo a questo punto. Massacro delle illusioni. Non è il Dio già morto che abbiamo annegato, ma l'arte dei già vivi-morti. Non una epifania, o allora una molto potente. Non ci sono più sacerdoti, né moribondi. Non c'è più neppure dialogo: ognuno parla da solo nel suo angolino. Possiamo ancora voler credere al grande pic-nic. Alla riconciliazione. Alla tre volte santa comunità degli artisti, come si vorrebbe credere ancora alla gran serata della Rivoluzione mentre non vi sono che piccoli mattini. Zivjelo Bratstvo i Jedinstvo!!. La comunità degli artisti farebbe causa comune contro il grande fuori, sarebbe lei a mantenere la tradizione, lei che perpetuerebbe la possibilità della rappresentazione, lei che, in ogni luogo, in ogni momento, continuerebbe a fare contro il non-fare, oppure persino a disfare contro lo strafare. Che ancora mangerebbe e berrebbe, e farebbe del mangiare e del bere le forme stesse del suo disfare. O anche che ruberebbe ai moribondi il non-fare per divenire autori delle loro bassezze. Ed ecco, in processione, i comunicandi, pronti a macchiare la loro alba per soddisfare l'appetito del grande predicatore. Non sanno forse che l'alba è già sporca, che non ha più le sue dita di rosa, che nulla più è significante, che nulla è più significato. Non ci resta nemmeno la forma dell'insignificanza, essa non dirà nulla di più. Non ha mai avuto un linguaggio, la bella muta, essa è al di qua, sta persino davanti al predicato. In una notte nemmeno buia, un attimo prima di quest'alba senza rugiada, eccoli, tutti questi vivi-morti, astratti o concreti, comunque gesticolanti, e sempre pronti a sparlare. Parlano, sempre un po' a sproposito. “Dovrebbe essere un po' più così”, oppure “un po' più colà”. In ogni caso, un po' a sproposito. Certo, niente più territorio, solo legami. E poi dei picnic, ancora e sempre dei pic-nic. La Repubblica geniale, in fondo, perché no? Ma non quella di chi parla da solo, quella degli oggetti stessi. E poi, non la Repubblica. Non ci sono più né rappresentanti, né rappresentati. No. C'è un venditore e un compratore. Allora è autogestione, quella degli oggetti stessi, quella dei significati stessi. Tutto ciò in una casa vuota, sì, d'accordo. Una casa così vuota che non ne conserverò neppure il ricordo. Una villa svuotata dei suoi vivimorti, dei suoi parlatori solitari. Nessuna traccia, ma solo quel che c'era prima del predicato. Samoupravljanje non è adesso, è un attimo dopo, quando avremo lasciato la casa, quando sarà finalmente vuota, quando le cose, una volta liberate, potranno organizzarsi, quando finalmente non vi saranno più problemi di senso e di non-senso, e sarà finalmente terminato il valzer dei vivi-morti. Allora sì, Smrt fazismu, Sloboda Narodu! perché non ci sono più né significanti, né significati, e neanche il ricordo di questa danza, no, nulla più di un venditore e un compratore. E quando infine saremo al di qua, appena prima della predicazione e, non essendo neppure in grado di formularlo, ecco che allora, davvero, “una rosa è una rosa è una rosa”. Della liturgia e della processione, del ballo di san Vito, non resta più nulla; poi il primo predicato, quello del compratore al venditore: “Quanto?”. E tutto da rifare.

Jean-Baptiste Ganne
Bol (Ljubav je), Agosto 2004.

Viva la fraternità e l'unità!
Autogestione!
Morte al fascismo, libertà al popolo!


« Me, I used to drink, as tense as an eccentric »
( Charles Baudelaire,to a passerby )


Positioning. Baudelaire tracks beauty from the bar. Nothing unusual about that, but a prescient response to the demands of positioning. The drunken perception of the world sometimes constructs the most accurate, albeit inverted, representations. Drunkedness and the asynchronicity it instills, the drift and desire it reveals, are the motors of this unfaithfulness towards the world one enacts in choosing to be an artist.

Come and go. Photographic or not, I appropriate images to deviate them from their original meaning, I take them to beseige them, I repeat them to betray them. Pulling an image out of its context to make it lie elsewhere or introducing an image into a grid to make it speak profusedly allow for an oscillation of meaning, which paradoxically constructs it.

Reversal. Leading as much as led, in the image of the tango dancer's fragile equilibrium as he rocks the object of his desire- revolutionary in the first sense of the term- I try to take advantage of all the takes photography offers. Grabbing it by all of its members, and turning it totally upside down, not to allow its artificiality to appear but to show that in this same representation the true is a moment of the false.

Jean-Baptiste Ganne, 1999




Hegel points out somewhere that all major events and historical figures repeat, in a manner of speaking, twice. He forgot to add that the first time around it is as tragedy and the second as a farce.
Karl Marx
The 18th Brumaire of Louis Bonaparte

We have a problem with the tight relation between capitalism and psychoanalysis on the one hand, and revolutionary movements and schizo-analysis on the other. We could speak of Capitalist Paranoia and Revolutionary Schizophrenia as we are not using these words from a psychiatrical vantage point but rather based on their social and political determinations, from which their psychiatrical application stems only in certain conditions. Schizophrenia's only aim is that the revolutionary, artistic, and analytical machines become parts and gears of one another. Once again, considering delirium, it seems to us that it possesses two poles: a paranoic fascist pole and a schizo-revolutionary pole. It never stops oscillating between these two poles. That is what interests us: revolutionary schiz as opposed to the despotic signifier. In any event, there is no point in protesting beforehand against counter meanings: they cannot be foreseen, nor can they be fought once they are created. One is better off doing something else, working with those moving in the same direction. As for being responsible or irresponsible, those notions are foreign to us, fit for the police or the courtroom psychiatrist.
Gilles Deleuze / Felix Guatari
(interview with C. Backès-Clément, Mars 1972)



Techniques et matériaux


ça dépend des jours
Mots Index


dérive / drift
transsubstantiation / transsubstantiation
spéculatif / speculative
ivresse / drunkedness
révolution (tous les sens) / revolution (in all its meanings)
champs de références


Orthodoxie théologique et interprétations hérétiques ­ Marx et Marxiens ­ Réalisme et surréalisme - Situationisme et situationisme. Spirou et Fantasio.
repères artistiques


Caravage ­ Courbet ­ Duchamp - Filliou