Manuel RUIZ VIDA 

     
             
     
             
     
             
     
             
Passage 2005-2007
Huile, pigment et laque sur radiographie, 16 x 15,5 x 13,5 cm chaque
Collection du Musée départemental de Flandre, Cassel
             

Les pertes

Manuel Ruiz Vida est fasciné par la matière, insaisissable, perpétuellement en mouvement, subissant le temps qui la transforme, l’érode. Il ne prétend aucunement la dompter mais se laisse porter par elle.
Il est un alchimiste de la couleur, mixant des verts, des bleus, des blanc-gris, des noirs plus rarement des jaunes et des rouges. La succession de couches de peinture qui finalement semblent s’entremêler donne à la fois à l’oeuvre un aspect granuleux, accentuant par là même l’effet de matière, mais aussi une épaisseur. De cette stratification naît la forme. Ici ce ne sont plus des containers, entrepôts ou autres bâtiments témoins de l’ère industrielle que Manuel Ruiz Vida met en exergue, mais des blocs monolithiques qu’il intitule étrangement ou naturellement « passages ». Ces stèles, aux tonalités sombres, oppressantes, sans épitaphe, vides de tout et pleines à la fois, sont écrasées par l’absence volontaire
de perspective.
Portes fermées à l’espoir, elles ne sont pas une fin en soi. Il faut contourner la forme, l’oublier, se perdre dans les méandres de la matière pour trouver l’insoupçonnable sursaut de vie. Les teintes gris bleus voire noires prédominantes aux premiers regards laissent entr’apercevoir des blancs éclatants chargés de lumière.
Le passage, c’est la transformation d’un état à un autre, c’est le mystère de la création, c’est cette succession de peaux qui constituent l’oeuvre de Manuel Ruiz Vida. La matière est l’essence même de la vie. Pas étonnant alors que l’artiste sciemment ou inconsciemment ait eu recours à des radiographies
comme support. Translucides mais accrochant la matière, souples et rigides, vouées peut-être à la disparition, elles témoignent de cette quête incessante de l’artiste à dépasser les tensions, à défier le temps, à révéler le beau, le vrai, l’essentiel.
Ces seize petits formats se caractérisent à la fois par leur unicité et par leur disparité. Vues de manière collective, ces stèles deviennent cimetières et évoquent par leur alignement rectiligne ceux de la Première Guerre mondiale, à l’instar des tombes des soldats anonymes qui se sont sacrifiés pour leur pays, elles demeurent nues, sans aucune inscription, laissant place au cheminement personnel de chaque regard.

Sandrine Vézilier 2008, texte du catalogue de l’exposition Par sacrifice et du catalogue Œuvres choisies du Musée Départemental de Flandre, Cassel

   
             
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