Mourad MESSOUBEUR 

Figurez-vous une soupe claire




Figurez-vous une soupe claire, subtilement nacrée d'une charge nutritive. 
Une sorte de bouillon aveugle, à peine épaissi d'extraits de pommes de terre et de poudre d'algues qui aurait pris consistance. 

Il aurait été renversé sur la table et, sitôt refroidi, il aurait ainsi recueilli les poussières ambiantes toujours promptes à se poser.



Abritées et nourries dans le calme de ce brouet, l'élevage des poussières, si souvent annoncé, se serait enfin accompli. A l'abri des regards et des agitations, une colonie industrieuse de moisissures colorées se serait installée à la surface en de somptueuses catastrophes délicatement duvetées.

Au cours de leur développement, les champignons dominants, jaloux du territoire, auraient déployé leurs ocelles dans un voisinage réglé au plus juste. Autant d'éclosions dont le désir incessant d'expansion ne connaîtrait pas d'autre obstacle que le trait d'antibiotique parfois lancé par la main de l'artiste.


Figurez-vous la peau que fait l'eau du riz, impeccablement tannée par la dessiccation. Une sorte de crêpe maintenant criblée de taches qui se dégradent doucement vers le gris ou le brun depuis un centre noir.



Après les grandioses expériences de cultures radio-telluriques en plein champ de Courtial des Pereires, en passant par la composition plus heureuse des plaques autochromes des frères Lumière, la pomme de terre détournée de la table, confirme ici son bienveillant soutien aux chercheurs visionnaires. C'est encore elle, l'ombrageuse, la modeste, qui, dans son voile de fécule, porte l'exubérant témoignage de la nature à l'oeuvre.



Mais sur cette pellicule ultra sensible où l'on se plaît à voir de prime abord le détail d'une fascinante cartographie, se lit aussi, quasi latente, une image, plus troublante encore. Celle d'une demeure, d'une ville, d'une saison, d'une forêt ou d'un rivage, non pas dépeints dans leur apparence immédiate, mais dans l'exacte matérialisation* de leurs effluves jusqu'alors invisibles. 

Ainsi, dans le chaos des moisissures, fidèlement transposé, se révèle maintenant à nos yeux, l'esprit même du lieu où l'on coula la soupe.


Gilles Boudot 2007 - 2023




*Apparition paranormale d'un objet par création de matière. Larousse de la Langue Française




Les oeuvres Vives de Mourad Messoubeur

Il y a dans les formes de la vie une beauté particulière qui semble trouver sa source dans la cohérence entrevue d'un ensemble de traits mystérieusement articulés pour le service d'une fin. La pensée classique, depuis l'Antiquité, a toujours voulu voir dans le travail de l'artiste l'expression d'une force organisatrice agençant la diversité des choses dans une cohérence semblable à celle dévoilée par les manifestations de la vie. L'oeuvre d'art est en somme, dans cette conception, oeuvre de nature et sa beauté est parente de celle des beautés du monde vivant. On se trompe quand on croit que les siècles passés ont eu pour seul but de copier fidèlement ce que les yeux voyaient : la volonté d'imiter la nature a toujours été une volonté d'imiter le processus de la création des formes à l'oeuvre dans la nature même.
Ainsi est-il possible d'écrire à propos des illustres penseurs tels Galien, Épicure, Vésale, Pline ou Virgile : Les rêveurs présentés ici ont tous le même message. Il y a de l'ordre dans le monde et cet ordre est beauté et cet ordre est fécond. Il l'est par sa beauté même ; et la découverte de cet ordre, mis en évidence dans la pratique du vivant (il est question ici d'agriculture et de jardinage) donne du plaisir à vivre. C'est l'ordre poétique du monde.
Les cultures de moisissures de Mourad Messoubeur paraissent bien, avec un certain décalage, répondre à cette ancienne certitude. En cultivant cette sorte de champignons, en les montrant suivant une géométrie issue autant de la rigueur des protocoles scientifiques que du souci de dessin du peintre qu'il demeure, il doit rendre compte de la beauté féconde du monde.
Non point représenter, mais présenter. Tel fut le mot d'ordre d'un courant artistique des années 60 soucieux d'échapper aux pièges supposés du langage et autres codes. Il fut question de "littéralité" pour désigner des peintures dont les auteurs prétendaient renoncer à tout horizon symbolique, à toute expression d'un pathos. Pures couleurs, pures surfaces, pure géométrie. Vinrent aussi à être montrés les matériaux les plus simples, les choses les plus communes, posés sans artifice dans les espaces d'art : terre, charbon, graisse, carton, tôle... montrés là pour "eux-mêmes" eut-on dit. Vinrent enfin à être présentées des bêtes et des plantes vivantes : chevaux, perroquets, cactus... Germano Celant esquisse en l'élargissant le programme des artistes de la mouvance de l'Arte Povera où, à la fin des années 60, trouvent leur place ces êtres inattendus. « Les artistes, écrit-il, n'ont pas pour but de décrire ou de représenter la nature ». Ils cherchent à mettre en évidence « l'insurrection de la valeur magique et merveilleuse des éléments naturels. Ainsi l'oeuvre et le travail s'identifient à la vie ». Celant nous redit ici la beauté (valeur magique et merveilleuse) des éléments naturels au nombre desquels il compte, bien sûr, les plantes et les animaux. Il parle en somme d'une matière animée dont les métamorphoses seraient les signes mêmes d'une vie universelle. Et le travail de l'artiste n'est, dans son esprit, qu'une manifestation supplémentaire de ce flux d'énergie organisatrice. La nouveauté des années 60 renoue donc sous le regard du grand critique italien avec les institutions les plus anciennes.
Mais la perception du monde vivant échappe aujourd'hui, à l'évidence. aux partages et aux hiérarchies d'autrefois. L'homme était jadis au centre d'un monde entouré par le cercle des bêtes et des végétaux familiers intimement mêlés à son existence dans la construction d'un univers domestique opposé au monde sauvage. Il faudrait penser ici en des termes opposant l'utile et le nuisible, le paisible et le dangereux. Et puis tous les vivants avaient leurs rois et leurs princes et leurs humbles servants.
On notera donc avec intérêt que. lorsque Eugène Grasset 3 à la fin du XIXème siècle, décide d'élargir le répertoire des images inspirées par les formes de la nature pour renouveler les arts décoratifs de son temps. il prend soin d'avertir que son album de modèles a rompu avec les catégories anciennes. Qu'on ne s'attende pas à y trouver seulement le lion. l'ours ou le renard comme sources d'inspiration : il faudra aussi trouver plaisir à contempler la grenouille et la salamandre. Qu'on ne s'attende pas à des variations formelles sur la pomme et le raisin pour décorer les intérieurs bourgeois ; il conviendra de savoir apprécier celles que suscitent le poireau, le persil ou le sureau !
L'époque met ainsi fin au long divorce, mettant les espèces réputées nobles d'un côté, et celles vulgaires ne méritant pas d'attirer l'attention de l'autre. La modernité prolongera ce mouvement en donnant pourrait-on dire des chances égales à toutes formes issues du monde vivant. Klee, Kandinsky ne cessent de dire la vie sensée animer leurs oeuvres. Ernst, Tanguy, Arp témoignent de manière significative d'un goût pour les formes biomorphiques se développant en Europe et aux États-Unis dans les années 30.
Un biomorphisme capable de trouver son inspiration autant dans les formes d'un crâne que dans le dessin d'un protozoaire. Ainsi se prépare l'appropriation d'un immense vocabulaire formel emprunté à tous les ordres de la vie avant que, concrètement, les artistes ne fassent appel directement aux plantes et aux animaux dans leurs travaux.

Pierre Paliard, historien d'art, texte in catalogue Expérience croisée, Adventis CropScience, 2000


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