Flavie PINATEL 

Ce que révèle très bien les portraits de Flavie Pinatel, c'est la dimension épiphanique chère à Lévinas, qui nous touche où plutôt nous caresse dans le sens d'une humanité soudainement et comme miraculeusement partagée, grâce à laquelle nous laissons tomber de manière salutaire toute trace de phobie, de gêne, tous ces clichés sociaux qui encombrent nos relations à autrui et qui (nous) séparent.
Flavie ne "choséifie" pas ses "sujets" pour en faire des "cas sociaux", des "anormaux", ou des bêtes de foire. Non seulement elle les rend à leur humanité, mais elle nous les rend proche, aimant, sans que nous ressentions la moindre pitié à leur égard, et cela sans que nous sachions vraiment qui ils sont.

Ce qu'il me semble nécessaire de dire, et qui constitue par rapport à Lévinas, un pas de plus, c'est que ce qui dans le portrait "ressemble" - une "allure", un "air", un "aspect", un "détail", une marque au visage, la trace ou l'esquisse d'un sourire - est pris dans une "économie", l'économie de la semblance dirait Mondzain, c'est à dire le régime de l'image comme procès et processus.
  Flavie ne prend/vole pas l'image de l'autre, à l'improviste ou en forçant le modèle, mais construit avec lui un jeu dans lequel s'épanouissent et s'évanouissent les visages, le vis à vis, l'échange et le don de soi, ce qui constitue justement ce procès de la ressemblance, la ressemblance comme procès et processus de ce qui s'ouvre, s'individualise et s'indétermine, apparaît et disparaît en s'exposant.
Les personnes que Flavie filme s'ex-posent, et ce que rend d'abord effectif son travail à travers cette ex-position et en leur présence, c'est : le dispositif de représentation, la représentation elle-même, la relation intersubjective, le vis à vis.
Flavie montre dans ses images le dispositif qu'elle met en place. En révélant le dispositif (lieu, caméra, "modèle", éclairage, etc.), elle nous rend capable d'appréhender autrement ces portraits, autrement que comme des effigies ou de simples "images de personnes". En ce sens, les images de Flavie ont une valeur cultuelle. Les traits, les expressions, les grimaces ou les sourires, les mouvements des corps sont pris dans un dispositif qui met également le spectateur en émoi et en mouvement, en renvoyant l'image à son essence première de médiation, d'interface, de mise en en jeu d'un bien commun.
Pour le dire encore autrement, non seulement le photographe photographie, non seulement la photographie se photographie elle-même dans le partage de ces regards, mais dans ce partage, c'est au tour du spectateur de se sentir photographié, comme si toute distance subjective était pour un temps suspendue.
Ainsi, le photographe, le photographié, la photographie, le regardeur, ensemble se rassemblent et se retrouvent, comme si c'était la première fois.
 
Dans ce jeu d'adresse et d'envoi réciproque, dans cette représentation comme "procès" et processus, se noue la question non pas d'une ressemblance (d'un faire semblant, d'un faux semblant) mais celle d'une similitude, au sens de quelque chose qui relèverait d'un "voir ensemble" (Mondzain), entre inconnus, la possibilité non pas d'une île (d'un jouir sans entrave, ou d'un plaisir esthétique libéré des passions ou sans désir), mais d'un vivre ensemble où se jouent le même et l'altérité comme formes de vis à vis.
Ce qui alors fait sens, c'est la relation, les modalités, ce qui fait (les) images et se qui se (dé)fait entre les images.
L'éthique de l'image passe par la compréhension de son économie.
"Voir ensemble", tel que cela s'est passé quand Flavie nous a présenté au lycée son travail de 8 à 9h. Il s'est passé quelque chose, qui ne passait visiblement pas par les mots.
Je sais que certains élèves n'ont pas apprécié ses photographies.
Ensemble, nous n'avons pas vu ni ressenti les mêmes choses.
Mais l'échange, l'improbable, c'était palpable, inframince, a bien eu lieu.

Didier Montmasson professeur et artiste.
Extrait d'un mail suite à une intervention dans un lycée avec option art.
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